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Le Sang

Le sang est un tissu "liquide" présent uniquement chez les animaux supérieurs et chez plusieurs invertébrés. Comme l’épithélium, le muscle ou l’os, il est formé de cellules vivantes; cependant, celles-ci sont en suspension dans une solution aqueuse de composition complexe. En outre, comme tous les tissus de l’organisme, le sang remplit, grâce à la circulation, de multiples fonctions nécessaires à la vie, telles que les échanges respiratoires et nutritifs, la régulation de la constance du milieu intérieur, la répartition et l’égalisation de la chaleur, et la défense de l’organisme.

Ce rôle vital du sang a été compris dès la préhistoire. Pourtant, les découvertes en hématologie, lentes et longtemps demeurées dans l’ombre, sont l’œuvre de chercheurs isolés et écrasés par les contraintes de la tradition et de la religion. On peut les grouper schématiquement en trois périodes. La première débute dès 1616, lorsque Harvey démontre le mouvement circulaire perpétuel du sang. Peu après, Lower observe que le sang qui va au poumon est noir, tandis qu’"imbibé d’air" il est de nouveau rutilant dans la veine pulmonaire. Ce n’est qu’en 1867 que H. Selye explique ce phénomène, ainsi que la propriété des globules rouges de capter et de relâcher l’oxygène. En 1674, les observations au microscope remarquablement précises du Hollandais Leeuwenhoek permettent de donner une bonne approximation du diamètre moyen des globules rouges (1/3 000 d’inch, soit 8,5 mm); elles sont toutefois niées ou méconnues jusqu’au milieu du XIXe siècle. La deuxième période s’ouvre avec la découverte, en 1901, des groupes sanguins A, B, O par Landsteiner, d’où dériveront les connaissances actuelles sur l’immuno-hématologie. Par la suite, on a pu préciser la structure des immunoglobulines, étudier le contrôle génétique de la synthèse des protéines et rendre réalisables des applications thérapeutiques, telles que la transfusion sanguine et les greffes d’organes. Enfin, la troisième période a été ouverte par l’apport de techniques nouvelles, telles que la microscopie électronique et l’utilisation des traceurs radioactifs. L’hématologie s’est enrichie en utilisant les techniques de la physique, de la biochimie, de l’immunologie, de la génétique, de la pharmacologie.

Durant les dernières décennies, l’hématologie s’est scindée en secteurs qui se développent aujourd’hui quasi indépendamment les uns des autres. C’est donc presque arbitrairement qu’on esquissera ici quelques-unes des connaissances fondamentales.

1. Constitution

Le sang est formé d’une suspension homogène de corpuscules dans du plasma. Ces corpuscules sont de trois types: globules rouges (encore appelés hématies, ou érythrocytes), globules blancs (ou leucocytes), plaquettes (ou thrombocytes).

Les globules rouges

Structure et fonction

Les globules rouges sont formés en quatre ou cinq jours à partir de la lignée érythroblastique de la moelle osseuse, par division successive, puis expulsion du noyau, aboutissant ainsi au réticulocyte. Celui-ci passe dans la circulation et se transforme en deux jours environ en globule rouge mûr, qui a la forme d’un disque dont la coupe est celle d’une lentille biconcave de 7,5 mm de diamètre (cf. fig. 1, ainsi que les articles HÉMATOLOGIE, pl. I, et HÉMATOPOÏÈSE). Cette forme, particulièrement adaptée aux échanges gazeux, assure au globule l’élasticité nécessaire à son turbulent voyage dans des conduits circulatoires dont certains ne dépassent pas 2 à 3 mm. Le nombre de globules rouges, variable d’une espèce animale à l’autre, est chez l’homme de 25 000 milliards environ, soit 4 à 5 millions par millimètre cube de sang.

La membrane du globule rouge est de nature phospholipidique. Les propriétés antigéniques qu’elle porte définissent les groupes érythrocytaires. L’analyse du contenu cellulaire révèle un tassement des molécules d’hémoglobine, qui occupent 25 p. 100 environ du volume disponible, de l’eau (70 p. 100), des constituants minéraux et organiques (5 p. 100), dont la plupart, en solution dans l’eau, sont à l’état d’ions. Parmi les cations, le potassium est l’élément prépondérant. Parmi les anions, le chlore, si abondant dans le milieu extérieur, cède la place aux protéines. Celles-ci, en raison du pH globulaire, sont à l’état de protéinates.

Au terme de leur vie de cent vingt jours, les hématies sont détruites dans le système réticuloendothélial, qui assure également la dégradation de l’hémoglobine.

Hémolyse

Quand des globules rouges sont placés in vitro dans de l’eau distillée ou dans une solution hypotonique, l’eau pénètre dans les cellules et les fait gonfler jusqu’à un point critique où la membrane libère l’hémoglobine. On appelle hémolyse la lyse des hématies avec diffusion du pigment respiratoire.

Dans l’organisme, l’hémolyse constitue un mécanisme physiologique de destruction des globules rouges. Celle-ci est réalisée par phagocytose dans le système réticuloendothélial. La rate constitue un organe réservoir et destructeur des hématies [cf. RATE]. La figure 2 montre le cycle des produits de dégradation de l’hème. Le catabolisme de l’hémoglobine, la formation des pigments biliaires et le devenir du fer ont été étudiés respectivement dans les articles PIGMENTS (fig. 9) et métabolisme du FER.

Les globules blancs

Les globules blancs ne représentent que 5 000 à 10 000 éléments par millimètre cube et sont eux aussi formés par la moelle (cf. HÉMATOLOGIE, pl. I, et HÉMATOPOÏÈSE).

Certains, les polynucléaires , ont un noyau polylobé et un cytoplasme granuleux, l’affinité tinctoriale de ces granulations définissant les polynucléaires neutrophiles, éosinophiles ou basophiles (cf. HÉMATOLOGIE, pl. I). Les mieux connus, car les plus nombreux, sont les neutrophiles dont le rôle est essentiel dans la lutte antibactérienne, par leur propriété de phagocytose, et dans le processus de l’inflammation (fig. 1). Leur séjour dans le sang est de l’ordre d’une journée seulement.

Les lymphocytes circulent dans le sang et dans la lymphe. Ils sont en effet l’objet d’une circulation dans un double système vasculaire et peuvent passer de l’un à l’autre. Ils ont un rôle prépondérant dans les phénomènes de défense immunitaire et leur durée de vie varie de quelques jours à plusieurs années.

Les monocytes représentent la plus grande cellule circulante. C’est un élément de passage, spécialisé dans la phagocytose; il migre vers des tissus où il devient un macrophage hautement spécialisé.

Les plaquettes

Produites par les mégacaryocytes médullaires (cf. HÉMATOLOGIE, pl. I: fig. 10 et 11), les plaquettes sont des éléments anucléés, de petite taille (2 mm); leur durée de vie est de huit jours environ. Leur nombre est de 300 000 par millimètre cube environ. Elles jouent un rôle fondamental dans le processus de l’hémostase.

Le plasma

Le plasma est une solution en milieu aqueux de divers électrolytes et de protéines. De la stabilité de cette solution dépend celle du "milieu intérieur", qui ne peut s’écarter de normes très étroites.

Les électrolytes plasmatiques

Les électrolytes plasmatiques (cations et anions) règlent en grande partie la pression osmotique, l’équilibre acido-basique et la répartition de l’eau dans l’organisme (cf. métabolisme HYDROMINÉRAL, OSMORÉGULATION).

Les principaux cations sont le sodium, le potassium, le calcium, le magnésium; les principaux anions sont les ions bicarbonate, chlore, phosphate, sulfate, les acides organiques et les protéines (tabl. 1).

La balance électrolytique plasmatique est bien différente de celle d’autres espaces liquidiens de l’organisme, en particulier des liquides intracellulaires, où l’ion potassium domine de très loin l’ion sodium.

Les protéines plasmatiques

Les protéines plasmatiques se divisent en trois classes: albumine, globulines, fibrinogène, qui représentent environ 70 g/l de plasma (tabl. 1). La principale d’entre elles est l’albumine (40 g/l). Les globulines sont séparées en différentes fractions selon leur mobilité électrophorétique. Des techniques plus complexes d’immuno-électrophorèse, de chromatographie ont permis d’identifier plus de vingt protéines plasmatiques différentes.

Leurs fonctions sont multiples, souvent étroitement spécialisées. Leur taux pondéral ne donne aucune idée de leur importance biologique, particulièrement quand elles sont douées d’une activité enzymatique. Elles détiennent diverses propriétés, capitales pour l’organisme: l’albumine et les globulines sont essentielles pour le maintien de la pression oncotique du plasma qui règle le volume de l’espace plasmatique; les globulines, surtout les immunoglobulines (anticorps) et le complément, jouent un rôle décisif dans la défense de l’organisme; les facteurs de la coagulation et de la fibrinolyse sont en rapport avec l’hémostase; certaines protéines plasmatiques sont de première importance pour le transport de quelques métaux, des hormones, des lipides et des déchets hémoglobiniques; des systèmes vaso-effecteurs complexes tiennent sous leur dépendance certaines propriétés vasculaires.

L’étude du plasma nécessite de recueillir du sang sur un agent à action anticoagulante, afin d’éviter la formation d’un caillot et l’exsudation du coagulum d’un liquide clair, le sérum. Celui-ci diffère du plasma par la perte de certaines protéines, fibrinogène en particulier, qui interviennent dans la coagulation du sang.

Les matières organiques non protéiques

Le tableau 1 indique les principaux éléments organiques qui, en dehors des protéines, entrent dans la constitution du plasma humain. Parmi ces éléments, certains sont essentiels à la vie des cellules, d’autres sont des produits du métabolisme intermédiaire.

Le plasma est donc une solution complexe renfermant des protéines, de l’urée, du glucose, des ions (Na+, K+, etc.). Sa pression osmotique, maintenue relativement constante par le rein, est fonction des concentrations molaires de ces éléments:

où c est la concentration (g/l), M le poids moléculaire, T la température absolue, K une constante. Cette équation montre que les ions C1-, HCO-3, et Na+, dont la concentration pondérale est relativement élevée et dont le poids molaire est faible, ont une pression osmotique beaucoup plus importante que celle des protéines (pression oncotique). L’importance biologique de la pression osmotique du plasma est mise en évidence par l’observation des hématies (cf. supra , chap. 1: Hémolyse).

Numération globulaire

La numération globulaire permet de calculer le nombre absolu de cellules contenues dans un certain volume de sang. Le tableau 2 indique les résultats normaux chez l’adulte.

Actuellement, la plupart des numérations globulaires, à l’exception des plaquettes, sont effectuées à l’aide de compteurs automatiques, dont l’utilisation permet de diminuer les marges d’erreurs, qui restent cependant relativement importantes: A 2 à 6 p. 100 pour les globules rouges et blancs, A 15 p. 100 pour les plaquettes.

L’hématocrite, qui représente le volume des hématies par rapport au volume sanguin (fig. 3), est normalement de 40 à 50 p. 100 chez l’homme adulte, de 38 à 47 p. 100 chez la femme.

La formule leucocytaire représente la proportion relative des différentes variétés de leucocytes.

2. Volume sanguin total (volémie)

La quantité de sang contenu dans l’ensemble de l’organisme peut être évaluée par divers procédés, telle la méthode de dilution isotopique [cf. ISOTOPES]. Des hématies, mises en contact avec une solution de chrome 51, deviennent radioactives. Elles sont remises en circulation et se répartissent de façon homogène dans le sang. Après vingt minutes, on pratique un prélèvement de sang et on détermine le volume sanguin total Vs:

où R est la radioactivité injectée, r la radioactivité de 1 ml de sang total.

Compte tenu de l’hématocrite H, on peut en déduire le volume plasmatique total Vp:

et le volume globulaire total.

Ces volumes varient à l’état physiologique en fonction du poids, de la taille et du sexe. Les chiffres normaux sont donnés par le tableau 3.

3. Propriétés fondamentales

Propriétés physiques

Les principales propriétés physiques du sang portent sur la coagulation et sur la viscosité.

Coagulation

La coagulation représente le passage de l’état liquide à l’état de gel, lié à la constitution d’un caillot. Ce changement d’état physique est dû à la transformation du fibrinogène, protéine soluble, en fibrine insoluble. Celle-ci, organisée en réseau, constitue l’armature du caillot dont la rétraction laisse exsuder le sérum (cf. HÉMOSTASE ET HÉMORRAGIES, fig. 1). Cette transformation du fibrinogène en fibrine se fait sous l’action d’une enzyme protéolytique, la thrombine. Celle-ci provient de l’activation de la molécule de prothrombine, aboutissement d’une chaîne de réactions enzymatiques déclenchées par le contact du sang avec une surface non endothélialisée (un tube d’expérience ou une blessure vasculaire, par exemple) ou par l’action de sucs tissulaires. La formation de la thrombine au cours de la coagulation est en équilibre avec un système inhibiteur qui permet de limiter la coagulation au lieu même de l’organisme où elle est utile. Outre les protéines plasmatiques de la coagulation, au nombre de dix, le processus nécessite des phospholipides plaquettaires ou tissulaires et l’ion calcium. En effet, le sang recueilli dans un tube ne coagule pas s’il est décalcifié dès le prélèvement; l’absence de plaquettes ou d’un des facteurs plasmatiques de la coagulation entraîne une tendance au saignement. C’est le cas de l’hémophilie, liée à l’absence congénitale de l’un des facteurs de la coagulation [cf. HÉMOPHILIE].

La coagulation est suivie d’une dissolution du caillot de fibrine, la fibrinolyse, phénomène physiologique qui permet de restaurer la perméabilité vasculaire, et qui est sous la dépendance d’une enzyme protéolytique, la plasmine, formée à partir d’un précurseur plasmatique. Cette enzyme dégrade la fibrine insoluble en petits fragments solubles (cf. HÉMOSTASE ET HÉMORRAGIES, fig. 2).

Viscosité

Le sang constitue un liquide complexe, hétérogène, qui présente une viscosité propre. Celle-ci est une donnée essentielle des conditions de la circulation et surtout de la microcirculation dans les capillaires. Elle dépend de la concentration des éléments figurés et des protéines plasmatiques, de la déformabilité des globules rouges, de leur tendance à l’agrégation.

Sédimentation globulaire

La sédimentation globulaire représente la chute spontanée au fond d’un tube des globules rouges du sang recueilli sur un anticoagulant. Elle reflète la tendance des hématies à s’accoler en rouleaux dès que le sang est au repos (fig. 1). Cette tendance varie avec l’"atmosphère" protéique, en particulier le taux des protides totaux et du fibrinogène. Son étude constitue un des moyens biologiques les plus simples et les plus fidèles dans le diagnostic et la surveillance d’un grand nombre d’affections.

Fonction de transport

Transport des gaz du sang

Dans les espèces animales les moins évoluées, les échanges gazeux sont assurés par diffusion dans des canaux aériens ou à travers la peau. En revanche, chez les espèces supérieures, ils le sont par un organe d’échange complexe (le poumon), un système vasculaire élaboré et un pigment respiratoire [cf. RESPIRATION]. Ce dernier est une acquisition fondamentale; en effet, dans le capillaire pulmonaire de l’homme la quantité d’oxygène dissoute dans le plasma ne représente que le cinquantième de la quantité d’oxygène liée par l’hémoglobine ; si le sang était dépourvu d’hémoglobine, il faudrait 250 litres de sang pour assurer la totalité des échanges gazeux de l’organisme. L’inclusion de l’hémoglobine dans les hématies représente en outre un gain important: protégée par un système enzymatique, elle se conserve pendant les cent vingt jours de la survie du globule rouge; elle permet une viscosité sanguine bien moindre que celle qui est réalisée par une solution plasmatique de la même quantité du pigment.

L’hémoglobine est une molécule complexe, dont la structure est parfaitement connue (cf. HÉMOGLOBINOPATHIES et métabolisme du FER). Elle est présente au taux de 14 à 16 g pour 100 ml de sang chez l’homme normal. Ce pigment respiratoire peut se combiner avec différents gaz et assurer leur transport. L’oxyhémoglobine, association d’une molécule d’oxygène et d’hémoglobine, est capable de se dissocier de nouveau; elle assume le transport de l’oxygène des poumons vers les tissus. À ce niveau, le gaz carbonique est pris en charge pour être transporté vers les poumons [cf. RESPIRATION].

Transport de divers éléments

En plus des gaz du sang et des éléments figurés, le sang véhicule des éléments très divers, tels que les aliments de la cellule, les déchets de la cellule entraînés vers les organes d’excrétion, les hormones apportées de l’organe producteur aux organes cibles, les vitamines, les métaux, les drogues médicamenteuses. Les protéines jouent un rôle majeur dans cette fonction, soit de façon peu spécifique (ainsi, l’albumine transporte aussi bien des déchets du métabolisme cellulaire, par exemple la bilirubine, fig. 2, que certains médicaments comme les drogues antivitamine K), soit de façon très spécifique, telles la sidérophiline pour le fer [cf. FER] ou la transcobalamine pour la vitamine B12.

Constance du milieu intérieur

La constance du milieu intérieur dépend de la stabilité des concentrations ioniques et protéiques du plasma, dont sont fonction la pression oncotique et la stabilité du pH. Cette dernière représente la limite la plus contraignante imposée à l’organisme qui doit maintenir le pH entre 7,35 et 7,45. Or, le sang charrie vers les organes d’excrétion (poumon et rein) les produits du catabolisme cellulaire qui contiennent de nombreux acides (carbonique, sulfurique, phosphorique, lactique, pyruvique, etc.). La production journalière d’acide carbonique atteint même 10 à 20 moles par jour, soit l’équivalent de 1 à 2 litres d’acide chlorhydrique concentré. Pour le maintien de la stabilité du pH sanguin interviennent divers systèmes tampons, dont les systèmes plasmatiques, qui utilisent les bicarbonates, les phosphates et les protéines, et les systèmes érythrocytaires, qui mettent à profit l’hémoglobine et l’oxyhémoglobine (cf. équilibre ACIDO-BASIQUE).

Réactions de défense de l’organisme

Spécificité antigénique d’un individu

Le sang joue un rôle de premier plan tant dans la détermination de la spécificité d’espèce, face aux autres espèces animales, que dans celle de la spécificité de l’individu à l’intérieur de l’espèce humaine: les globules rouges, porteurs d’un grand nombre de spécificités antigéniques, déterminent les systèmes de groupes sanguins si importants en transfusion sanguine; les leucocytes et les plaquettes sont porteurs des antigènes tissulaires d’histocompatibilité, essentiels dans la tolérance des homogreffes; les groupes sériques des immunoglobulines, de l’haptoglobine, de la transferrine, par exemple, viennent encore compléter cette définition de l’individu (cf. chap. 4). La transmission génétique de ces différents caractères permet de les utiliser dans les recherches en exclusion de paternité et dans l’étude des mouvements de population.

Surtout, l’organisme reconnaît comme étranger tout antigène dont il n’est pas porteur et met en œuvre son système de défense immunitaire pour lutter contre ces éléments. Cela est valable aussi bien dans la défense contre l’infection que pour une greffe d’organe.

Le système de défense immunitaire

Le sang est la voie la plus facile pour étudier le système de défense immunitaire. Il existe schématiquement deux types d’immunité [cf. IMMUNITÉ ET SYSTÈME IMMUNITAIRE].

L’immunité humorale est liée à la synthèse d’anticorps dirigés contre l’antigène. Les anticorps sont des immunoglobulines dont il existe trois types principaux: IgG, IgA, IgM, sécrétés par des cellules spécialisées, les plasmocytes dérivés des lymphocytes. Ce type d’immunité peut être transmis par injection du sérum contenant les anticorps.

L’immunité cellulaire ne s’effectue pas par l’intermédiaire d’anticorps circulants; elle peut être transmise par transfusion des petits lymphocytes sensibilisés; l’ablation néo-natale du thymus chez l’animal la supprime.

Dans ces deux voies différentes de l’immunité, les lymphocytes jouent un rôle prépondérant dans la reconnaissance de l’antigène (où le macrophage intervient également), dans la transmission de l’information aux cellules effectrices et dans la mise en mémoire d’un premier contact avec l’antigène.

Lutte contre l’infection

Le sang intervient de deux façons différentes pour combattre l’infection.

La phagocytose des germes par les polynucléaires représente un moyen de défense de première importance dans bon nombre d’infections: le polynucléaire, attiré vers le germe par chimiotactisme, l’englobe par phagocytose et le digère [cf. PHAGOCYTAIRE (SYSTÈME) ET PHAGOCYTOSE].

La mise en œuvre des défenses immunitaires donne une réaction de type humoral (anticorps antitétaniques) ou de type cellulaire (bacille tuberculeux). Ce type de défense explique en outre, du fait de la mémoire antigénique, l’intérêt de la vaccination, d’une part, et la gravité des déficits de la fonction immunitaire, d’autre part.

4. Groupes sanguins

La transfusion sanguine a pu connaître un prodigieux essor grâce à la connaissance des groupes sanguins. La pratique de ces examens fait intervenir des notions appartenant aux domaines de l’immunologie et de la génétique, c’est-à-dire faisant appel à la détection d’anticorps et de propriétés antigéniques transmises héréditairement. On appelle antigène une substance capable de susciter dans l’organisme la formation d’anticorps. C’est à l’échelle moléculaire que les antigènes se différencient, et la notion de groupe sanguin se réfère à l’ensemble d’individus possédant en commun un détail structural caractéristique au niveau de certaines molécules qui se trouvent situées soit sur les globules rouges, soit sur les globules blancs et sur les plaquettes, soit encore dans le plasma ou le sérum. Les individus qui appartiennent à un groupe sanguin particulier se distinguent donc des autres en ce qu’ils possèdent un ou plusieurs déterminants antigéniques propres à ce groupe. Les techniques de groupage varient selon les systèmes et selon que l’antigène se trouve au niveau des éléments figurés ou bien du sérum; il peut s’agir d’agglutination, de précipitation, de mobilité électrophorétique [cf. IMMUNOLOGIE]. Le point essentiel est que ces caractères de groupe sont transmis génétiquement.

On résumera d’abord les principales connaissances concernant les groupes érythrocytaires, c’est-à-dire les caractéristiques des globules rouges, parmi lesquels les groupes A, B, O et Rh sont les systèmes les plus importants. Puis on étudiera les groupes leuco-plaquettaires et les groupes sériques.

Les groupes sanguins érythrocytaires

Le système ABO

La découverte fondamentale des premiers groupes sanguins, c’est-à-dire du système ABO, revient à Landsteiner en 1901. Mettant en contact les globules rouges de certains individus avec le sérum d’autres individus, il remarque que tantôt se produit une agglutination, tantôt il ne se produit rien. Il est alors possible de classer les sujets en quatre groupes: O, A, B, AB.

Les sujets du groupe O ont leurs globules qui ne sont agglutinés par aucun des sérums des autres catégories, mais leur sérum possède des agglutinines actives sur les globules des autres groupes. À l’opposé, les sujets du groupe AB ont des hématies qui sont agglutinées par les sérums des autres groupes, mais leur sérum ne contient aucune agglutinine agissant sur les globules rouges des autres groupes. Les sujets du groupe A possèdent dans leur sérum un anticorps anti-B; inversement, les sujets du groupe B ont dans leur sérum un anticorps anti-A. Ces propriétés sont résumées dans le tableau 4.

Le groupe O a longtemps été défini comme "donneur universel", car il pouvait être transfusé à des receveurs de groupes indifférents, et le groupe AB était désigné comme "receveur universel", c’est-à-dire pouvant recevoir le sang de n’importe quel sujet (tableau 4). En réalité, ces dénominations ne sont plus guère usitées. À la notion de donneur de sang universel on a substitué celle de transfusion isogroupe , qui consiste à toujours injecter à un sujet le sang de son propre groupe. En effet, certains sujets du groupe O ont dans leur plasma des agglutinines immunes qui ne peuvent être injectées sans danger à des sujets d’un groupe différent du groupe O.

En France, les groupes O et A ont une fréquence équivalente de l’ordre de 44 à 45 p. 100; les groupes B représentent 8 p. 100 et les groupes AB de 3 à 4 p. 100 de la population. Par suite de leurs variations selon les races, les groupes sanguins sont très précieux pour les études anthropologiques [cf. HÉMOTYPOLOGIE].

Le groupe A peut être divisé en deux sous-groupes: le groupe A1 et le groupe A2; ce dernier est un groupe A faible.

Les gènes du système ABO sont situés au niveau d’une paire de chromosomes autosomes (chromosomes non liés au sexe). Les facteurs A et B se comportent comme des traits héréditaires dominants: en effet, ils n’existent jamais chez un enfant si l’un au moins des parents ne les possède pas. L’absence simultanée des facteurs A et B (groupe O) se comporte comme un trait héréditaire récessif.

Il faut différencier le génotype, c’est-à-dire les gènes portés par la paire de chromosomes allèles, et le phénotype, c’est-à-dire le groupe qui est exprimé sur les globules rouges. Le tableau 5 montre qu’au phénotype O ne peut correspondre qu’un seul génotype OO, mais qu’au phénotype A peuvent correspondre des sujets homozygotes AA ou hétérozygotes AO. Au phénotype B peuvent correspondre également des homozygotes BB ou des hétérozygotes BO. En revanche, les sujets AB sont nécessairement hétérozygotes, ayant hérité A de l’un des parents et B de l’autre.

Le tableau 5 indique que des parents du groupe O ne peuvent avoir que des enfants du groupe O, mais qu’un père du groupe A et une mère du groupe B peuvent avoir des enfants du groupe O, ou du groupe A, ou du groupe B, ou du groupe AB. Il faut se méfier de tirer des conclusions hâtives pour la filiation ou l’exclusion de paternité si l’on ne possède pas un maximum de connaissances en génétique.

Le système Rh

Le système Rh (Rhésus) doit son nom à la découverte faite par Landsteiner et Wiener en 1940. Des lapins immunisés contre des globules rouges du singe Macacus rhesus pouvaient produire une agglutinine permettant de distinguer deux groupes parmi les échantillons de globules rouges humains: Rh positif agglutinés (85 p. 100) et Rh négatif non agglutinés (15 p. 100). La même année, A. S. Wiener et H. R. Peters mettaient en évidence des anticorps anti-Rhésus dans certains cas d’immunisation post-transfusionnelle; en 1941, P. Levine montrait que la maladie hémolytique du nouveau-né résultait d’une immunisation fœto-maternelle qui se produisait lorsqu’une mère Rh négatif portait un fœtus Rh positif [cf. HÉMOTYPOLOGIE].

La découverte du système Rh a été le point de départ d’un développement extraordinaire de l’immuno-hématologie. C’est en effet à partir de 1940-1941 que la recherche d’anticorps irréguliers faite sur les sérums de transfusés et de femmes enceintes a permis de découvrir des anticorps spécifiques de déterminants antigéniques nouveaux. Il a été ainsi possible de définir des sous-groupes dans le système Rh positif et de reconnaître d’autres systèmes de groupes sanguins. Sont désignés comme Rh positif tous les sujets qui possèdent l’antigène D (Rh0). Cet antigène D est le plus souvent associé à C (C + D = Rh1) et s’observe chez 55,5 p. 100 des individus. Dans 12,4 p. 100 des cas, D s’associe à C et E. Les sujets Rh négatifs (cde) représentent 15,2 p. 100 de la population française. Très rares sont les sujets qui possèdent C ou E sans avoir D (cf. HÉMOTYPOLOGIE, tabl. 1).

Les antigènes du système Rh se comportent comme des caractères codominants, c’est-à-dire qu’ils sont transmis des parents aux enfants; chacun des individus porte sur une paire de chromosomes les caractéristiques correspondant à C ou c, D ou d, E ou e, trois de ces caractéristiques étant présentes sur chacun des chromosomes et se trouvant transmises en bloc (tabl. 6)

Autres systèmes de groupes érythrocytaires

On connaît depuis fort longtemps les groupes M et N, qui ne jouent pratiquement aucun rôle dans la transfusion sanguine, mais qui sont utiles pour les études d’hérédité. En revanche, les groupes P, S, et s (qui sont d’ailleurs liés aux groupes MN) peuvent être à l’origine d’immunisation.

Les systèmes Kell, Duffy, Kidd et Lutheran sont des découvertes plus récentes. Leur désignation provient des noms des personnes dans le sérum desquelles on a trouvé pour la première fois l’anticorps, ce qui a permis d’identifier l’antigène pour chacune de ces séries (cf. HÉMOTYPOLOGIE, tabl. 1). Ces systèmes sont d’inégale importance.

Le système Kell est celui qui, dans la pratique, est le plus important à considérer, car on observe d’assez nombreux cas d’immunisation de sujets Kell négatif (qui représentent 91 p. 100 de la population) à la suite de la transfusion de sang Kell positif (9 p. 100).

Le système Duffy, en particulier le facteur Fy (a), joue un rôle non négligeable dans la compatibilité transfusionnelle.

Il en est de même pour le système Kidd; des anticorps anti-Jk (a) peuvent être à l’origine d’accidents transfusionnels.

Beaucoup plus rares sont les anticorps anti-Lutheran.

Les groupes leuco-plaquettaires

Tous les tissus du corps humain sont porteurs d’antigènes particuliers, les antigènes d’histocompatibilité, qui sont à l’origine des rejets de greffes ou de transplantations d’organes. À la suite des travaux de J. Dausset en 1952, on sait que les antigènes tissulaires sont portés également par les leucocytes et par les plaquettes ; c’est donc par le groupage leucocytaire que l’on pourra établir le groupe HLA dont l’importance est considérable en matière de transplantation, de génétique, d’anthropologie et d’exclusion de paternité (cf. GREFFES ANIMALES ; HÉMOTYPOLOGIE, tabl. 2 et 3). Il s’agit d’un système d’une extrême complexité comportant plus de cinquante antigènes distincts appartenant à trois loci différents A, B et DR. Chaque individu est porteur de quatre antigènes au niveau de ses leucocytes, de ses plaquettes et de tous ses tissus. Il a hérité, en effet, de chacun de ses parents un antigène du locus A et un antigène du locus B. Il transmettra à ses enfants un de ces deux haplotypes composé lui aussi d’un antigène du premier locus et d’un antigène du deuxième locus. Au premier locus, citons entre autres les spécificités A1, 2, 3, 9, 10, 11. Au deuxième locus les spécificités B5, 7, 8, 12, 13, etc.

La complexité de ce système explique que, si, dans une famille, un quart des enfants (statistiquement) est porteur des mêmes antigènes HLA (on les appelle des germains identiques), au contraire deux sujets non apparentés, pris au hasard dans une même population ont moins d’une chance sur mille d’être porteurs des mêmes antigènes HLA, et pour certaines spécificités rares les chances sont mêmes inférieures à 1/10 000. Cela est à l’origine des difficultés pour trouver un donneur compatible avec un receveur donné et de l’intérêt qu’il y a à créer de larges organisations comme Euro-Transplant pour rechercher des reins de cadavres compatibles avec d’éventuels receveurs [cf. TRANSPLANTATION D'ORGANES].

Les groupes sériques

Si l’on considère seulement l’importance pratique pour la transfusion, ou pour les complications fœto-maternelles, des systèmes de groupes sanguins, la connaissance de groupes de protéines sériques joue un rôle beaucoup plus modeste. Toutefois, la découverte de groupes d’immunoglobulines (groupes Gm) a rendu des services éminents à la fois pour la connaissance de la structure des immunoglobulines et pour l’hérédité des caractéristiques humaines. Le système Gm tire son nom des globulines gamma G, et l’on ne connaît actuellement pas moins de vingt-cinq spécificités Gm différentes, dont la fréquence varie dans des proportions très importantes selon les populations et les races étudiées (cf. HÉMOTYPOLOGIE, tabl. 4). Les anticorps anti-Gm peuvent se trouver dans certains sérums normaux et dans différentes catégories de maladies, mais surtout dans une forme d’atteinte rhumatismale chronique, que l’on appelle polyarthrite évolutive ou arthrite rhumatoïde.

Il faut opposer à ces groupes sériques, définis par une réaction immunologique, d’autres groupes sériques définis par la migration électrophorétique particulière de certaines protéines des sérums normaux (cf. HÉMOTYPOLOGIE, Les molécules actives, in chap. 1), telles qu’un système de transferrines (la transferrine est une b-globuline transportant le fer), et de groupe d’haptoglobines (protéines ayant la propriété de former avec l’hémoglobine une combinaison stable).

Enfin, il existe des groupes d’enzymes érythrocytaires, tels les groupes de phosphatases acides, de phosphoglucomutases [cf. HÉMOTYPOLOGIE].

De cette étude il est possible de dégager deux points essentiels: d’une part, la connaissance des groupes sanguins est indispensable pour la pratique de la transfusion et pour la compréhension de certains accidents d’immunisation fœto-maternelle ou post-transfusionnelle; d’autre part, elle a permis de faire des progrès notables en génétique humaine, et elle rend les plus grands services dans les recherches de paternité, en médecine légale (identification des taches de sang) et en anthropologie.

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