La
Respiration
La physiologie
comparée de la respiration a pour objet l’étude des mécanismes assurant les
échanges de l’oxygène et du dioxyde de carbone (gaz carbonique) entre les
organismes vivants et le milieu, aqueux et aérien, dans lequel ils vivent.
L’oxygène est utilisé et le dioxyde de carbone libéré dans les cellules, plus
précisément dans les mitochondries, siège des oxydoréductions qui fournissent
l’énergie nécessaire à la vie. S’il est vrai que, dans certaines circonstances,
la plupart des cellules animales, privées d’oxygène en quantité suffisante,
peuvent produire de l’énergie en recourant à la dégradation du glycogène
jusqu’à l’acide lactique (anaérobiose), un tel mécanisme cesse dès que
l’oxygène est admis dans le milieu en quantité suffisante (aérobiose).
1.
La respiration des animaux
Échanges
gazeux
Pour les êtres de
petite taille, de diamètre inférieur à 1 millimètre, les échanges des molécules
d’oxygène et de gaz carbonique entre le milieu et les cellules s’effectuent par
diffusion. En effet, les tissus animaux sont perméables aux gaz respiratoires,
avec cette particularité que la perméabilité est beaucoup plus élevée pour le
gaz carbonique que pour l’oxygène, car celui-là est beaucoup plus soluble que
celui-ci dans les liquides de l’organisme.
Chez les
Métazoaires de taille plus importante, à l’exception des Insectes et de
quelques Arachnides, la diffusion des molécules d’oxygène et de gaz carbonique
dans l’organisme ne peut suffire; un milieu est nécessaire pour assurer le
transport, la convection d’oxygène et de gaz carbonique de la surface
d’échanges externe jusqu’aux tissus. Le sang, qui joue le rôle de milieu
vecteur, a la propriété de fixer et de libérer rapidement de grandes quantités
de gaz carbonique et d’oxygène. Celui-ci y est souvent fixé sur un pigment:
hémocyanine chez la plupart des Mollusques et des Crustacés, hémoglobine chez
quelques Invertébrés et chez tous les Vertébrés. Quant à la convection du sang,
elle est assurée par les mouvements de l’ensemble du corps, par le battement de
cils, par la contraction des vaisseaux chez beaucoup d’Invertébrés, par la
contraction d’un cœur stricto sensu chez les Mollusques et chez tous les
Vertébrés.
Chez les Insectes,
la solution apportée au problème de la pénétration de l’oxygène jusqu’aux
cellules et du rejet du dioxyde de carbone est toute différente. Ces animaux
possèdent en effet des trachées , fins tubes qui, d’une part, s’ouvrent
latéralement par des stigmates à la surface du corps et, d’autre part, se
subdivisent pour aboutir à des trachéoles d’une extrême finesse, pouvant pénétrer
dans les cellules elles-mêmes et venir au contact des mitochondries; ainsi, par
diffusion, et grâce à quelques mouvements de l’animal, l’air ambiant est mis
directement au contact des tissus (cf. INSECTES, fig. 6).
Chez les
Métazoaires de taille relativement importante, les zones d’échanges gazeux
entre l’organisme et le milieu ambiant présentent une grande diversité
morphologique, de laquelle se dégagent deux traits saillants: le rapport entre
la surface d’échanges et la masse corporelle est toujours élevé, et la paroi
qui sépare les milieux externe et interne est toujours mince.
Organes
respiratoires
Chez beaucoup
d’animaux aquatiques, la surface d’échanges externe est augmentée par le
développement d’évaginations de la surface du corps, simples plissements des
téguments ou bien branchies, qui peuvent être soit libres dans le milieu
extérieur (par exemple, chez les larves de Batraciens), soit cachées dans une
cavité palléale chez les Mollusques, dans une cavité branchiale chez les gros
Crustacés et chez les Poissons.
Par contre, chez
les Mollusques pulmonés, chez quelques Poissons, les Dipneustes, chez la
plupart des Amphibiens et tous les autres Vertébrés, l’invagination de l’endoderme
conduit à la formation de poumons, généralement aériens. Chez les Mammifères,
les poumons sont subdivisés en alvéoles, particulièrement nombreux. Chez les
Oiseaux, ils sont formés de tubes parallèles, les parabronches, d’où émergent
radialement de petits canaux, les capillaires aériens, qui viennent au contact
des capillaires sanguins.
La formation de
poumons apparaît comme la seule possibilité offerte aux animaux, à l’exception
des Insectes, pour pouvoir évoluer librement dans l’atmosphère, car la vie
aérienne n’est possible que si deux conditions sont remplies: faible perte
d’eau, échanges respiratoires suffisants. La peau des Reptiles, des Oiseaux et
des Mammifères étant presque imperméable à l’eau, la seule perte d’eau
importante s’effectue par la respiration pulmonaire; mais, grâce à la grande
richesse de l’air en oxygène, la convection ventilatoire d’air et, par suite,
la perte d’eau avec le gaz expiré, saturé de vapeur d’eau, sont faibles. La
situation est toute différente chez les Amphibiens, dont la respiration cutanée
est obligatoire: ou bien ils vivent plus ou moins immergés dans l’eau ou bien,
s’ils sont aériens, leur peau devant être humide pour rester perméable aux gaz,
ces animaux demeurent au voisinage des points d’eau ou tout au moins séjournent
dans une atmosphère très humide.
Convection de
l’eau et de l’air
Disposer d’une
large surface d’échanges gazeux est une condition nécessaire aux animaux de
grande taille; il est indispensable de surcroît que le milieu ambiant, au
contact de cette surface, soit renouvelé. Chez certains Invertébrés, la
convection de l’eau est assurée par les mouvements de l’animal ou par le
battement de cils. Mais pour les animaux plus complexes, une convection massive
du milieu externe est nécessaire. Chez les animaux aériens, la convection est
bidirectionnelle , consistant en des mouvements de va-et-vient d’air, milieu
léger, peu visqueux, dont la richesse en oxygène autorise un débit modéré. En
revanche, l’eau, pour une tension d’oxygène donnée, contient beaucoup moins
d’oxygène que l’air, si bien que le débit de convection chez les animaux
aquatiques est relativement considérable. Par exemple, un Vertébré aérien
ventile 20 à 30 litres d’air pour en retirer 1 litre d’oxygène, alors qu’un
Poisson fait circuler 300 à 500 litres d’eau pour en extraire la même quantité.
Mais une circulation si considérable pose des problèmes mécaniques particuliers
aux animaux aquatiques, puisque l’eau est 800 fois plus dense et 60 fois plus
visqueuse que l’air: une convection bidirectionnelle par va-et-vient d’eau,
comme celle de l’air chez les Vertébrés supérieurs, nécessiterait un travail
considérable. En fait, la seule solution possible réside dans un mécanisme de
convection unidirectionnelle de l’eau qui, entrant par la bouche et s’échappant
par les fentes operculaires, s’écoule d’une manière presque continue à travers
les lamelles branchiales.
Équilibre
acido-basique
La différence
considérable du besoin de convection chez les animaux aquatiques et chez les
animaux aériens s’accompagne d’une différence très marquée des pressions
partielles de gaz carbonique (p CO2), mesurées dans l’eau ou l’air expirés et
dans le sang de ces deux groupes d’animaux. Le dioxyde de carbone, en effet,
est très soluble dans l’eau, si bien que la valeur de p CO2, dans l’eau expirée
par les animaux aquatiques, est très faible, excédant de 1 à 2 torrs seulement
celle de l’eau ambiante. En revanche, chez les Vertébrés aériens qui ventilent,
par unité d’oxygène consommé, beaucoup moins que les Poissons, p CO2 du gaz
expiré peut atteindre plusieurs dizaines de mm Hg.
Le sang suivant
d’assez près les variations de p CO2 de l’eau branchiale chez les animaux
aquatiques et du gaz pulmonaire chez les animaux aériens, l’état acide-base est
profondément différent chez les uns et les autres.
La relation entre
le pH, la concentration de bicarbonate et celle de l’acide carbonique (cette
dernière étant directement proportionnelle à p CO2) est définie par l’équation
de Henderson-Hasselbalch (cf. appareil RESPIRATOIRE - Physiologie, Stimulus pH
).
On observe que les
valeurs du pH sanguin des animaux aériens et aquatiques, placés à la même
température ambiante, sont très voisines. Dès lors, puisque, chez les animaux
aériens, pCO2 est beaucoup plus élevé que chez les animaux aquatiques, la
concentration du bicarbonate [HCO3-] est aussi beaucoup plus forte chez les
premiers que chez les seconds. L’ensemble de ces observations semble indiquer
que la régulation de la convection respiratoire du milieu ambiant, aquatique ou
aérien, tend vers un double but: oxygénation convenable de l’organisme,
détermination d’une valeur caractéristique du pH.
2.
La respiration des végétaux
Mis à part
certaines bactéries strictement anaérobies et différents champignons comme les
levures, capables de vivre en anaérobiose, tous les végétaux ont besoin
d’oxygène, et l’oxydation de leurs métabolites conduit au dioxyde de carbone.
La respiration se
constate chez les organismes ou les organes non chlorophylliens (champignons,
racines, tissus divers) aussi bien à la lumière qu’à l’obscurité. Pour les
organes chlorophylliens, la respiration est masquée à la lumière par l’activité
photosynthétique qui aboutit à des échanges gazeux inverses, dix à cinquante
fois plus intenses. Néanmoins, les échanges respiratoires des feuilles, mesurés
à l’obscurité, montrent une absorption moyenne d’oxygène de 1 millilitre par
heure pour 10 à 20 grammes de substance fraîche et un rejet à peu près
semblable de gaz carbonique. La respiration est ainsi, comme chez les animaux,
une manifestation constante de la vie en aérobiose. C’est aussi un processus
plus économique au point de vue matériel et énergétique que l’anaérobiose [cf.
AÉROBIOSE ET ANAÉROBIOSE].
Échanges gazeux
Les végétaux sont
dépourvus d’un appareil respiratoire et d’un appareil circulatoire assurant le
transfert des gaz dissous ou libres. Les échanges gazeux se font donc
essentiellement par diffusion. L’épiderme, souvent revêtu d’une cuticule
cireuse, est très peu perméable aux gaz. Chez les végétaux aériens, Cormophytes,
ce sont les stomates répartis à sa surface qui, par leur nombre, permettent une
diffusion rapide des gaz entre le milieu extérieur et le milieu intérieur;
d’autre part, par leur sensibilité à la lumière et à la sécheresse, qui en
favorisent l’une leur ouverture, l’autre leur fermeture, ils assurent un
contrôle –relatif toutefois – de la vitesse des échanges entre l’oxygène, le
gaz carbonique et la vapeur d’eau [cf. HYDRODYNAMIQUE VÉGÉTALE].
À l’intérieur des
tissus, les espaces intercellulaires (méats et lacunes) et les perforations des
parois cellulosiques facilitent la circulation des gaz soumise aux seules lois
de la diffusion. Au niveau cellulaire, comme le manifestent beaucoup de
Thallophytes, le problème des échanges gazeux concerne, comme pour tout autre
système cellulaire, le franchissement des membranes protoplasmiques, la
circulation intracellulaire des gaz à l’état dissous, l’engagement de l’oxygène
dans les oxydations cellulaires et la libération du dioxyde de carbone par voie
enzymatique au niveau des mitochondries.
Utilisation de
l’énergie respiratoire
L’intensité
respiratoire est très variable selon les organes, les feuilles respirant
davantage par unité de masse que les organes compacts: tiges, fruits ou
racines. Elle varie aussi beaucoup avec l’âge des tissus: élevée dans les
tissus jeunes, elle est nettement plus faible dans les tissus adultes; elle est
très intense lors de la crise climactérique, au début de la maturation des
fruits; il est possible de distinguer une respiration de croissance et une
respiration d’entretien, cette dernière correspondant à une consommation
d’énergie inhérente à la simple maintenance des cellules en vie. L’énergie
libérée par la respiration n’est que partiellement utilisée à l’entretien des
cellules; la majeure partie (90 à 98 p. 100) est perdue sous forme de chaleur
qui diffuse dans le milieu ambiant; cette émission de chaleur peut, dans des
phases de croissance active, élever la température tissulaire de plusieurs
dizaines de degrés (germinations compactes, croissance rapide de la fleur
d’arum).
D’une manière
générale, les végétaux ne possédant pas de régulation thermique, la température
agit directement sur leur métabolisme. L’intensité respiratoire s’élève entre 0
0C et 35-40 0C et décroît rapidement pour des températures plus élevées, par
suite d’une dégradation progressive des structures cellulaires.
Photorespiration
Si la lumière
détermine la prédominance des échanges gazeux photosynthétiques, la
photosynthèse s’accompagne, en revanche, d’une respiration particulière,
directement liée à l’oxydation rapide de produits intermédiaires du métabolisme
de synthèse (ribulose biphosphate). C’est la photorespiration qui restitue à
l’atmosphère jusqu’à 50 p. 100 du dioxyde de carbone assimilé par la
photosynthèse. Cette photorespiration, qui cesse à l’obscurité, affecte la
plupart des végétaux, notamment ceux des régions tempérées. Différentes plantes
d’origine tropicale (maïs, canne à sucre) qui ont un métabolisme
photosynthétique particulier (en C4) en sont exemptes; de ce fait, leur
rendement photosynthétique et leur rendement de croissance sont plus élevés
[cf. PHOTOSYNTHÈSE].
PHOTORESPIRATION
L’influence de la
lumière sur la respiration des plantes vertes a longtemps été tenue pour
négligeable. Depuis 1955 cependant, un grand nombre de travaux ont montré que,
pour la plupart des plantes vertes, le dégagement de gaz carbonique était deux
ou trois fois plus intense à la lumière qu’à l’obscurité. On réserve le nom de
photorespiration sensu stricto à l’ensemble des processus métaboliques des
plantes vertes qui aboutissent à ce surplus de dégagement de gaz carbonique à
la lumière (surplus s’ajoutant au dégagement de CO2 lié à la respiration
mitochondriale observée à l’obscurité).
Certains travaux
ayant montré que la respiration mitochondriale pouvait être ralentie à la
lumière, on désigne parfois par photorespiration (au sens large) l’ensemble des
phénomènes métaboliques comprenant d’une part le ralentissement des oxydations
mitochondriales à la lumière et d’autre part le surplus d’oxydation de composés
carbonés se produisant en dehors des mitochondries, à la lumière exclusivement.
La photorespiration
(au sens large) peut être mise en évidence très simplement: une plante très
éclairée, placée dans une enceinte close, épuise progressivement (par sa
photosynthèse très active) le CO2 de l’atmosphère confinée. Au fur et à mesure
que la pression partielle de CO2 diminue, l’intensité de la photosynthèse
diminue également. Lorsqu’une concentration résiduelle de CO2 de l’ordre de 50
p.p.m. est atteinte, pour la majorité des plantes vertes, les échanges gazeux
photosynthétiques sont exactement compensés par les échanges
photorespiratoires; la concentration en CO2 de l’atmosphère confinée ne varie
plus: on a atteint le "point de compensation en CO2".
Les graminées
tropicales (maïs, canne à sucre, etc.), quelques Dicotylédones poussant dans
les zones désertiques (Amaranthus edulis , Amaranthus retroflexus , Atriplex ),
c’est-à-dire l’ensemble des plantes photosynthétiques en C4, présentent un très
bas point de compensation en CO2 (0 à 5 p.p.m.), ce qui indique pour ces
plantes une photorespiration très faible ou nulle.
On utilise
plusieurs artifices expérimentaux pour mesurer la photorespiration sensu
stricto . On peut d’abord mesurer les échanges gazeux à la lumière dans une
atmosphère totalement dépourvue de CO2 (il n’y a donc pas de photosynthèse
possible dans ces conditions). On peut aussi suivre les variations de
l’intensité apparente de la photosynthèse en fonction de la concentration en
CO2 dans l’atmosphère, pour un éclairement donné: l’extrapolation des courbes
obtenues pour une concentration de CO2 nulle donne l’intensité de la
photorespiration. On peut enfin mesurer le surplus de CO2 que dégage une plante
lors de son retour à l’obscurité, immédiatement après une longue période
d’éclairement: dès qu’on éteint la lumière, la photosynthèse cesse
immédiatement alors que le dégagement de CO2 lié à la photorespiration persiste
quelques instants (bouffée photorespiratoire). Ce type de mesure peut être
encore amélioré si la feuille a été placée, pendant la période d’éclairement,
dans une atmosphère contenant du gaz carbonique radioactif 14CO2.
Toutes ces méthodes
ont permis d’établir que chez les plantes à haut point de compensation le
dégagement de CO2 à la lumière est deux à cinq fois plus élevé qu’à
l’obscurité. Dans une plante comme le tabac, dans certaines conditions
(température élevée, faible teneur en CO2 de l’atmosphère), 50 p. 100 du
carbone fixé par photosynthèse peut être perdu, à la lumière, par
photorespiration. Il s’agit donc d’un phénomène négatif par rapport à la
nutrition carbonée de la plante.
L’élucidation du
métabolisme de la photorespiration est due aux travaux de physiologie
contemporains utilisant le traceur radioactif 14C (Zelitch, Tolbert, ...).
Responsable de la
fixation du CO2 dans les plantes en C3, la ribulose-di-phosphate-carboxylase
peut, selon les pressions partielles de CO2 et d’O2 présentes, agir soit comme
une carboxylase, soit comme une oxygénase:
L’acide
phosphoglycolique, déphosphorylé, quitte le chloroplaste et passe dans le
peroxysome, petit organite cytoplasmique spécialisé dans les oxydations
photorespiratoires. L’acide glycolique (CH2OH—COOH) y est oxydé en acide
glyoxylique (CHO—COOH) et eau oxygénée (cette dernière est décomposée par la
catalase).
L’acide glyoxylique
peut être détruit, réutilisé ou après transamination donner naissance à du
glycocolle. Deux molécules de glycocolle peuvent être oxydées en sérine à
l’intérieur des mitochondries , d’où le dégagement du CO2 photorespiratoire.
La photorespiration
aboutit donc, dans tous les cas, à une diminution très importante de la
productivité des plantes photosynthétisant en C3. On perçoit tout l’intérêt de
la recherche des conditions de culture où la photorespiration soit maintenue à
faible niveau, l’intérêt de la recherche des mutants à faible photorespiration
et encore l’intérêt du développement, en agriculture, des plantes en C4 dont
l’apparition marque sans doute un progrès dans l’évolution des végétaux
supérieurs.
Par photosynthèse,
la biosphère transforme le CO2 et l’eau en matières organiques avec dégagement
d’oxygène, dont la molécule est constituée pour moitié de l’atome d’oxygène de
la molécule d’eau et pour moitié d’un des deux atomes du CO2 (effet Dole). On
appelle production primaire brute la quantité totale de carbone organique
formée annuellement par assimilation de CO2. Celle des plantes terrestres est
voisine de 120 Gt C par an. La moitié toutefois est consommée dans le même temps
par la respiration des plantes, de sorte que la production primaire nette
(quantité de matière organique formée en excès de la respiration) ne dépasse
pas 60 Gt C. Celle-ci est compensée par la respiration des sols. Photosynthèse
et respiration par les forêts sont responsables des variations saisonnières de
la teneur en CO2 de l’air, celle-ci atteignant son minimum à la fin du
printemps et son maximum à la fin de l’hiver. Une faible partie du carbone de
la biosphère est injectée dans l’air sous forme de méthane (0,6 Gt C par an),
lorsque règnent des conditions anaérobies (marais). L’océan absorbe chaque
année 92 Gt C de CO2 atmosphérique dans les régions froides. Les eaux chaudes
et les remontées d’eau profonde plus froide (upwelling ) émettent 100 Gt C. La
différence est compensée par l’absorption de CO2 de l’air par les algues qui
assimilent 50 Gt C chaque année; 40 Gt C sont rejetées par respiration, 6 Gt C
sont éliminées sous forme de carbone organique dissous et 4 Gt C sont exportées
sous forme de pelotes fécales. 90 p. 100 des particules sont oxydées dans les
deux cents premiers mètres de la colonne d’eau et seulement 1 p. 100 atteindra
le sédiment. Par ailleurs, l’océan et l’atmosphère échangent chaque année 60 Gt
C par absorption préférentielle du CO2 de l’air dans les eaux froides et
dégazage dans les eaux chaudes sursaturées (fig. 1).
La perturbation
par les activités humaines
Les activités
humaines ont profondément perturbé le cycle du carbone et l’équilibre des flux
échangés entre les différents réservoirs. Depuis 1850, les émissions de CO2
augmentent à un rythme quasi exponentiel, qui ne s’est ralenti que pendant les
périodes de récession économique. Le bilan (exprimé en Gt C) du carbone
anthropique pour la décennie 1980-1989 est le suivant: émissions dues aux
combustibles fossiles et à la production de ciment: 5,5 A 0,5; émissions dues à
la déforestation: 1,6, A 1,0 (le total des émissions est donc de 7,1 A 1,6);
stockage dans l’atmosphère: 3,3 A 0,2; absorption par l’océan: 2,0 A 0,8;
absorption par reforestation de l’hémisphère Nord: 0,5 A 0,5; autre puits
biosphérique (expansion naturelle des forêts): 1,3 A 1,5.
Ce bilan témoigne
d’incertitudes considérables sur le comportement de la biosphère. La
concentration atmosphérique de gaz carbonique continuera d’augmenter au cours
des prochaines années et devrait avoir doublé au cours du XXIe siècle. Même si
les émissions de CO2 sont réduites dans le futur, la teneur de l’atmosphère ne
diminuera que très progressivement, parce que le transfert vers le puits
ultime, les sédiments marins, est extrêmement lent.
Pour la même
décennie, les émissions provenant du méthane étaient voisines de 0,4 Gt C, les
trois quarts étant dus aux activités humaines (fuites de gaz naturel, émissions
par les rizières et les marécages, élevage de ruminants). Environ 10 p. 100
restent dans l’atmosphère, le reste étant éliminé par les composés actifs
présents dans l’air, notamment les radicaux hydroxyles OH.
3.
L’azote
L’azote (N) a un
cycle complexe parce qu’il existe sous forme de composés solides, gazeux ou
dissous dans des liquides. Dans la matière vivante, il est étroitement couplé
aux autres éléments, au point que, dans l’océan, leur rapport est quasi
constant. Beaucoup de composés azotés ont un intérêt économique et le cycle
naturel de l’azote est lui aussi perturbé par les activités humaines.
Différentes formes
chimiques
L’azote, pouvant
prendre des degrés d’oxydation variant de + 5 à – 3, apparaît sous des formes
très variées:
– L’acide nitrique,
HNO3, résulte de l’oxydation naturelle des oxydes d’azote. Il est produit
industriellement, car les nitrates servent à fabriquer des engrais et des
explosifs.
– Le peroxyde
d’azote, NO2, gaz toxique irritant, déchet de l’industrie chimique, est produit
dans l’atmosphère par oxydation de NO.
– L’oxyde nitrique,
NO, est un sous-produit de toutes les combustions. Il est surtout abondant en
zone urbaine, où le mélange NO-NO2 est responsable de brumes photochimiques et
de nombreuses réactions avec les composés minoritaires de l’atmosphère (oxyde
de carbone, ozone, radicaux divers).
– L’oxyde nitreux,
N2O, peu réactif, a une longue durée de vie (120 ans). Il peut être transporté
jusque dans la stratosphère, où il intervient dans les réactions contrôlant
l’ozone.
– L’azote (N2), gaz
incolore, inerte, constitue 78 p. 100 de l’atmosphère.
– L’ammoniac, NH3,
est un produit d’excrétion des animaux; ses sels servent d’engrais.
– Des composés
organiques – amines (dérivés organiques de l’ammoniac), amides comme l’urée, ou
protéines – constituent une grande partie du matériel cellulaire. Les composés
azotés sont donc présents dans les produits d’excrétion ou de décomposition des
matières organiques.
Les transformations
biologiques
Les réactions
biologiques contribuent au transfert d’azote entre les différents réservoirs
(atmosphère, eaux continentales et marines, biosphère, lithosphère). Les flux
les plus intenses sont associés aux échanges de la biosphère avec les sols et
l’eau.
La fixation
biologique est la source unique d’azote pour les plantes en l’absence
d’engrais. Celle-ci est réalisée par des algues en milieu aquatique et par des
bactéries dans les systèmes terrestres (par exemple, celles des racines des
légumineuses utilisées dans l’agriculture traditionnelle pour enrichir les
sols). Les micro-organismes sont susceptibles de nombreuses réactions
permettant de transformer l’azote en composés assimilables par les êtres
vivants: fabrication de composés ammoniaqués, nitrification, qui permet de
passer de l’ammoniac aux nitrates assimilables par les plantes pour être
transformés en matière organique, dénitrification, réduisant les nitrates en
azote ou en oxyde nitreux.
Beaucoup
d’organismes sont capables d’assimiler directement les produits de
décomposition des matières organiques. Cependant, une fraction des composés
gazeux produits aux divers stades du cycle biologique de l’azote (NH3, NO, NO2,
N2O) est susceptible de passer dans l’atmosphère, où ils subissent de nouvelles
réactions chimiques.
Les réactions
chimiques abiotiques
Les oxydes d’azote
sont très réactifs dans l’air et, bien que peu abondants, jouent un rôle majeur
sur la chimie de l’atmosphère et notamment celle de l’ozone.
Les pluies
éliminent une grande fraction des composés azotés qui peuvent se dissoudre dans
les gouttes d’eau sous forme d’ions ammonium ou de nitrate. L’ammoniac est très
rapidement recyclé sous le couvert végétal au voisinage du sol, de sorte que sa
concentration diminue rapidement avec l’altitude. Celui qui s’échappe est
soumis à l’oxydation photochimique par les radicaux OH, ce qui conduit soit à
la production d’oxydes d’azote NOx si leur concentration est inférieure à 60
ppt (1 ppt = 10–12 m3/m3 d’air, correspondant à un milieu non pollué), soit à
la production d’azote ou de N2O dans le cas contraire.
Dans la basse atmosphère,
les oxydes d’azote (mélange NO-NO2 dont la durée de vie est de quelques jours)
interviennent comme catalyseur de la chimie de l’ozone. S’ils sont très peu
abondants, ils contribuent à sa destruction. À des teneurs supérieures, proches
du ppb (10—9), ils contribuent à la formation d’ozone troposphérique; ils ne
sont que lentement éliminés par oxydation en acide nitrique et contribuent
alors à l’acidité des pluies. À des teneurs encore plus fortes (milieu urbain
fortement pollué), les oxydes d’azote jouent plutôt un rôle inhibiteur de
l’ozone.
L’oxyde nitreux,
N2O, émis par les sols et l’océan, est un gaz à effet de serre, très stable
dans la troposphère. Il diffuse jusque dans la stratosphère, où il est
décomposé dans 90 p. 100 des cas pour donner de l’azote et un atome d’oxygène
actif qui réagit avec l’oxygène pour former de l’ozone. Dans les 10 p. 100
restants, la photolyse de N2O conduit à la formation d’oxydes d’azote, qui
servent de catalyseurs de la destruction de l’ozone au-delà de vingt-cinq kilomètres
d’altitude. Comme les oxydes d’azote ne sont éliminés que très lentement, leur
effet est fortement négatif pour l’ozone stratosphérique.
Le cycle global
de l’azote
L’atmosphère, contenant
3,9 Z 109 Mt N sous forme moléculaire, 1300 Mt N de N2O, 0,9 Mt N de NH3 et de
1 à 4 Mt N d’oxydes d’azote, est le plus grand réservoir (fig. 2). Elle reçoit
les émissions volcaniques (gaz N2), qui compensent les pertes dues à
l’enfouissement des matières organiques azotées dans les sédiments marins
profonds. Le réservoir sédimentaire contient environ 0,5 Z 109 Mt N, bloquées
pendant plusieurs centaines de millions d’années.
La biomasse
terrestre et les sols contiennent respectivement 11 000 et 100 000 Mt N. La
transformation de l’azote dans le sol et son absorption par les organismes sont
si rapides que l’azote ne reste pas longtemps sous forme inorganique de nitrate
ou de sel d’ammonium. On estime à 1 200 Mt N la quantité recyclée annuellement entre
la biosphère et les sols par décomposition des matières organiques et
absorption par les plantes. Les bactéries dénitrifiantes rejettent annuellement
130 Mt N2 dans l’atmosphère. En revanche, les bactéries nitrifiantes et les
algues bleues l’absorbent continuellement et le transforment en nitrate. En
outre, les décharges électriques pendant les orages transforment environ 10 Mt
N2 en nitrate lessivé par les pluies, ce qui permet une fixation biologique
annuelle de 140 Mt N.
L’océan contient 22
Z 106 Mt N d’azote dissous, 20 000 Mt N de N2O inactif, 570 000 Mt N d’ions
nitrates et 7 000 Mt N d’ions ammonium, ces deux derniers étant des éléments
nutritifs dont la distribution gouverne la production primaire de l’océan.
L’océan mondial reçoit annuellement 36 Mt N déversées par les rivières, 50 Mt N
apportées par les pluies, qui recyclent très vite les ions nitrates émis par le
pétillement de l’eau de mer, et 30 Mt N fixées par les bactéries. Le plancton
est très avide d’azote, de sorte que les eaux superficielles de l’océan sont
pauvres en nitrate. On évalue à 6 000 Mt N la quantité d’azote fixée
annuellement par le phytoplancton. Celui-ci est brouté par le zooplancton, dont
les excréments émis sous forme de pelotes fécales tombent dans les eaux
profondes. Là, elles sont décomposées par les bactéries et l’azote est oxydé
sous forme de nitrate qui passe en solution. Les eaux profondes contiennent de
20 à 40 micromoles par litre de nitrates, qui sont réinjectés en surface dans
les upwellings .
La perturbation
par les activités humaines
Tous les processus
de combustion à haute température (centrales électriques, automobiles)
produisent des oxydes d’azote par réaction directe de l’azote sur l’oxygène.
Les activités humaines contribuent ainsi à augmenter le flux naturel d’oxyde
d’azote dans l’atmosphère. L’air pollué contenant des oxydes d’azote, de
l’oxyde de carbone, du méthane et des hydrocarbures est sujet à des réactions
photochimiques qui produisent de l’ozone troposphérique et des brumes.
La production
industrielle d’ammoniac et d’acide nitrique ainsi que les pratiques agricoles
accroissent la fixation d’azote atmosphérique d’environ 90 Mt N par an. Cet
azote passe finalement à l’océan sous forme de nitrate. Les conséquences de
cette perturbation sont encore inconnues à l’échelle globale mais se traduisent
par un accroissement, parfois catastrophique, de la production primaire des
zones côtières polluées, provoquant les fameuses marées rouges, coloration due
à la prolifération de micro-algues.
La concentration de
N2O dans l’air est passée de 275 ppb au début de l’ère industrielle à 315 ppb
en 1997. Elle augmente de 0,3 p. 100 par an. L’emploi des engrais, le
développement des terres agricoles et les combustions de biomasse dans les pays
en voie de développement ont augmenté d’au moins 40 p. 100 les émissions de N2O
dans l’air. Celles-ci contribuent à accroître l’effet de serre naturel de la
planète et à détruire l’ozone stratosphérique.
4.
Le phosphore
Le phosphore (P)
est un élément essentiel de la matière vivante, suffisamment rare pour
constituer un élément limitant pour de nombreux écosystèmes.
Différentes
formes chimiques
Contrairement aux
autres éléments, le phosphore n’a pas de composants gazeux dans les conditions
naturelles. Il est surtout présent à l’état d’oxydation + 5, qui est celui de
l’ion phosphate (PO43–). Celui-ci est très mobile, parce qu’il s’absorbe
facilement sur les particules. Toutes les formes de phosphore, particulaires ou
dissoutes, sont dérivées de cet ion qui est susceptible de former des chaînes
ou des composés cycliques (les polyphosphates).
Le minéral le plus
abondant est l’apatite, qui constitue environ 95 p. 100 de tout le phosphore de
la croûte terrestre. Elle a pour formule générale Ca10(PO4)6X2, où X peut être
F (fluorapatite), OH (hydroxyapatite) ou Cl (chlorapatite). L’apatite est aussi
produite dans les dents ou les os des êtres vivants. Après leur mort, les
parties apatitiques s’accumulent dans les sédiments et les sols. Leur
concentration a conduit à des dépôts économiquement exploitables
(phosphorites). Ceux-ci représentent 95 p. 100 des réserves. Des phosphates
peuvent également se former par accumulation des fientes d’oiseaux ou de
chauves-souris, transformées par diagenèse.
Beaucoup de
composés organiques nécessitent du phosphore, en particulier les acides
nucléiques (ADN et ARN). Les phosphates jouent également un rôle majeur dans le
contrôle de l’énergie chimique à l’intérieur des cellules, essentiellement par
l’hydrolyse de la molécule d’ATP. Ils sont également indispensables à la
formation des phospholipides, constituants des membranes cellulaires et de
l’apatite des os.
Les réactions
dans les écosystèmes continentaux
Le phosphore
disponible pour les êtres vivants est entièrement contenu dans la couche
superficielle de la lithosphère et provient de l’érosion des roches
continentales. Il est transporté sous forme particulaire ou dissoute par les
rivières jusqu’à l’océan, mais, durant ce trajet, la fraction dissoute peut
interagir avec les systèmes biologiques ou minéraux. Les lacs constituent un
important réservoir de phosphore continental, qui permet le développement des
algues en été. Celles-ci tombent en profondeur avec les particules et le
phosphore n’est pas renouvelé en raison de la stratification estivale. Les floraisons
épuisent donc les eaux superficielles jusqu’à l’hiver suivant.
Le phosphore est
introduit dans les écosystèmes par les eaux souterraines ou de ruissellement et
est absorbé par les végétaux qui l’incorporent dans diverses substances
organiques. Celles-ci sont restituées au sol avec les cadavres et les déchets
produits par les êtres vivants. Ces matières mortes sont attaquées par les
micro-organismes et transformées en phosphate assimilable par les plantes
supérieures.
Les réactions
dans les écosystèmes océaniques
Le phosphore qui
est transporté dans l’océan sous forme particulaire sédimente rapidement et est
incorporé au sédiment marin. La portion qui entre à l’état dissous passe très
vite dans le cycle biologique, si bien que les teneurs des eaux superficielles
sont très faibles: le phosphore est en général un élément limitant pour la
production primaire et le phytoplancton en est très avide. Les eaux profondes
contiennent de un à trois micromoles de phosphore par litre, parce qu’elles
reçoivent la pluie de matières organiques particulaires (pelotes fécales)
tombant depuis les eaux superficielles et oxydées par les bactéries. Les eaux
du Pacifique sont enrichies en éléments nutritifs par rapport à celles de
l’Atlantique, parce que les eaux superficielles plongent uniquement dans
l’Atlantique. Les eaux arrivant dans l’océan Pacifique après un long trajet en
milieu abyssal ont donc reçu davantage de particules organiques que celles de
l’Atlantique.
Les zones
d’upwelling sont les plus productives, parce que c’est là que les éléments
nutritifs regagnent la surface. Toute la chaîne alimentaire bénéficie de cet
apport et les bancs de poissons y sont abondants. En revanche, les régions
centrales des grands océans, toujours stratifiées, reçoivent très peu d’éléments
nutritifs et sont de véritables déserts biologiques.
Alors que le
phosphore des écosystèmes terrestres est recyclé très efficacement, celui de la
biosphère océanique est éliminé soit par enfouissement des matières organiques,
qui échappent à la décomposition dans les zones abyssales, soit par formation
d’apatite dans les sédiments des marges continentales, soit encore par
absorption sur les hydroxydes de fer. Ces pertes sont compensées par les
apports des rivières ou de poussières atmosphériques.
Le cycle global
du phosphore
Les sédiments
contiennent environ 4 Z 109 millions de tonnes de phosphore (Mt P); ils
n’échangent que très lentement avec les autres réservoirs. Ils reçoivent les
particules qui n’ont pas été attaquées et perdent lentement leur phosphore, au
rythme où les continents sont attaqués par l’érosion.
Le réservoir
continental, susceptible d’interagir rapidement avec la biosphère, les eaux
continentales et marines et l’atmosphère, n’est constitué que des soixante
premiers centimètres des sols. Il contient 200 000 Mt P. Chaque année, les
plantes terrestres, dont on estime qu’elles contiennent 3 000 Mt P, en
extraient 63,5 Mt P, qui sont compensées par la décomposition des matières
organiques mortes.
Les émissions de
poussières et de particules de phosphate vers l’atmosphère correspondent à un
flux annuel de 4,5 Mt P dont l’essentiel provient des continents (4,2 Mt P) et
une fraction infime du pétillement de l’eau de mer (0,3 Mt P). Plus des deux
tiers retombent sur les continents, 0,8 Mt P tombe dans les sédiments
océaniques abyssaux (et éliminé du système échangeable), tandis que 0,5 Mt P
est solubilisée dans les eaux superficielles de l’océan et consommées
rapidement par le phytoplancton.
Les eaux de surface
de l’océan constituent un réservoir de 2 710 Mt P qui reçoit annuellement,
outre les faibles apports atmosphériques, 1,7 Mt P charriée par les rivières et
58 Mt P apportées par les upwellings . Ce phosphore est utilisé par le
phytoplancton qui, annuellement, absorbe 1 040 Mt P et en rejette 998 Mt P.
Comme le cycle biologique est très actif et que le plancton ne vit que quelques
semaines, le réservoir phytoplanctonique ne dépasse pas 138 Mt P. Les gains de
phosphore par les eaux superficielles de l’océan compensent juste les pertes,
42 Mt P sous forme de matière organique particulaire tombant dans l’océan
profond et 18 Mt P associées aux plongées d’eaux en profondeur pendant l’hiver,
là où la stratification de l’océan est rompue.
L’océan profond
constitue le principal réservoir de phosphore océanique (87 100 Mt P) et c’est
lui qui recycle l’essentiel des éléments nutritifs: un atome de phosphore passe
environ cinquante fois entre les eaux superficielles et les eaux profondes
avant d’être piégé dans le sédiment, qui ne reçoit que 1,9 Mt P par an sous
forme de particules.
La perturbation
par les activités humaines
Le phosphore est
injecté dans les sols comme engrais, si bien que les flux entre le sol et la
biosphère ont augmenté de 10 p. 100 en moyenne depuis son utilisation. Cette
perturbation est très variable selon les régions: elle dépasse 50 p. 100 en
Europe, mais est infime dans les pays en développement. Le phosphore est aussi
utilisé comme détergent, adoucisseur d’eau ou produit industriel, les
polyphosphates formant des complexes solubles avec beaucoup de métaux
cationiques.
On connaît mal le
devenir du phosphore introduit par les hommes. Si la totalité était
"capturée" par la biosphère continentale, celle-ci aurait crû de 20
p. 100. Ce chiffre excède celui que l’on peut déduire de la perturbation du
cycle du carbone, et une partie significative du phosphore passe dans les
rivières, qui le déversent dans l’océan. Cet apport (avec celui de l’azote) est
responsable de l’eutrophisation des lacs et des zones côtières. La production
primaire a déjà augmenté dans les mers bordant les continents industrialisés,
comme la mer du Nord, et les apports de phosphore pourraient accroître la
production primaire de l’océan pendant plusieurs décennies.
5.
Le soufre
À l’état réduit, le
soufre (S) est un élément indispensable à la vie. À l’état oxydé de sulfate, il
constitue le deuxième anion par ordre d’abondance dans les rivières et l’océan
(après l’ion chlorure). Son cycle naturel est profondément perturbé, parce que
les combustions de charbons et de certains pétroles sont responsables
d’émissions de soufre comparables aux flux naturels. Il n’est donc plus
possible d’étudier ce cycle biogéochimique sans prendre en compte le rôle des
activités humaines.
Différentes
formes chimiques
Le soufre existe
sous plusieurs états d’oxydation et participe à de nombreuses réactions
d’oxydoréduction. L’état le plus réduit, S(–2) est représenté par des composés
comme H2S, RSH (où R représente une chaîne organique), RSR, OCS, CS2, CuS2,
HgS. À l’exception de H2S, ces espèces ne s’oxydent que lentement. Seules les
eaux anoxiques (marécages, eaux interstitielles des sédiments) peuvent être une
source de H2S pour l’atmosphère. L’état S(–1) correspond à des composés comme
RSSR ou FeS2. Les deux formes de soufre réduit constituent les sulfures d’un
grand nombre de métaux (Ag, Fe, Cd, Mn, Hg, Ca, Te, Se, As, Sn, Cu, Pb, Pt, Co,
Ni, Mo). Elles existent aussi dans des composés organiques, comme les acides
aminés (cystéine, méthionine). Par des liaisons disulfures (–SS–), le soufre
assure les liens entre les acides aminés des protéines. La quantité de soufre
contenue dans les organismes, tout comme celle de phosphore, est faible
(environ 0,25 p. 100 du poids sec).
La forme la plus
oxydée du soufre est S(+6) de l’ion sulfate. Elle est présente dans
l’atmosphère (acide sulfurique, sulfate d’ammonium) et dans l’océan.
L’évaporation de l’eau de mer dans des bassins fermés conduit à des dépôts dans
lesquels le soufre est à l’état de sulfate de calcium (gypse ou anhydrite).
L’état
intermédiaire S(+4) a seulement une existence transitoire. On le trouve sous
forme de gaz sulfureux SO2 dans l’atmosphère, les gaz volcaniques et les
émissions industrielles. SO2 est soluble dans l’eau, donnant naissance à des
ions HSO3– et SO3–– instables, qui s’oxydent en SO4––. Dans l’air, SO2 est
oxydé en sulfate par les radicaux OH.
Le soufre à l’état
élémentaire est formé naturellement par des processus bactériens ou
inorganiques. Dans tous les cas, c’est un composé à degré d’oxydation S(+6) qui
réagit avec un sulfure S(–2) pour donner du soufre S(0).
La phase
atmosphérique du cycle du soufre
Les processus
biologiques sont responsables de la production d’une grande variété de composés
gazeux. Les écosystèmes terrestres émettent H2S, CS2, COS (sulfure de
carbonyle), CH3SH (méthyl mercaptan), CH3SCH3 (DMS, sulfure de diméthyl),
CH3SSCH3 (disulfure de diméthyl). Le DMS est le principal responsable des
émissions de sulfure en océan ouvert. Il s’oxyde essentiellement en très fines
particules de sulfates, qui servent de noyaux de condensation pour les nuages
en atmosphère marine. Ces aérosols retombent avec les pluies ou sous forme de
dépôt sec.
Les activités
industrielles, les feux de biomasse et les volcans émettent principalement du
gaz sulfureux SO2. Les volcans constituent une source mineure pour la basse
atmosphère, mais une source épisodique majeure pour la stratosphère, où le SO2
est oxydé en aérosols d’acide sulfurique qui interceptent le rayonnement
solaire et contribuent à refroidir la basse atmosphère pendant environ deux
ans, jusqu’à ce que la stratosphère ait été nettoyée. Les feux de biomasse
naturels et anthropiques sont aussi responsables d’émissions d’aérosols soufrés
et carbonés, d’où un lien entre les deux cycles. En quelques jours, l’ensemble
des composés soufrés atmosphériques est oxydé en sulfates. Ceux-ci sont
lessivés par les pluies. Dans les régions industrielles polluées, les pluies
déposent 1 g S/m2/an, soit dix fois le flux en milieu océanique non pollué; 80
p. 100 des émissions industrielles de soufre se déposent dans un rayon de 1 000
km autour de leur zone d’émission.
Une exception au
caractère hétérogène de la répartition des composés soufrés est COS, composé
très stable, qui peut être émis directement dans l’air ou résulter de
l’oxydation de CS2. Son temps de résidence est voisin de un an et sa
concentration est assez uniforme (500 ppt). Étant inerte dans la troposphère,
il peut gagner la stratosphère où il est décomposé par les ultraviolets et
transformé en sulfates. Il pourrait être une source importante de sulfates
stratosphériques en l’absence de grandes éruptions volcaniques.
Les flux d’aérosols
marins sont très grands (140 Mt S/an), sept fois ceux transportés par les
poussières terrestres. Ces sulfates proviennent de celui qui est dissous dans
l’eau de mer ou du gypse présent à la surface des continents. Ils sont stables
et neutres. Ils retombent intacts à la surface des continents ou de l’océan.
La phase
océanique du cycle du soufre
L’océan joue un
rôle central dans le cycle du soufre, parce que les principaux réservoirs
(sulfures des roches sédimentaires, sulfates des évaporites, sulfates dissous
dans l’eau de mer) sont associés à des processus océaniques.
On distingue une
boucle rapide dans laquelle les sulfates sont émis dans l’air par le
pétillement de l’eau de mer et retournent à l’océan par les pluies et les
rivières, et un cycle géologique lent au cours duquel le sulfate provenant de
l’érosion continentale est apporté par les rivières et retourne au réservoir sédimentaire
lorsque le soufre est piégé dans les sédiments abyssaux, soit sous forme de
pyrite (FeS2) dans les zones de forte production primaire, soit sous forme
d’évaporites dans des bassins marginaux, soit par circulation de l’eau de mer
dans les systèmes hydrothermaux, où les dépôts d’anhydrite et de sulfures
métalliques sont fréquents.
Le cycle global
du soufre perturbé par les activités humaines
La grande majorité
du soufre est présente dans la lithosphère, qui contient 2 Z 1010 Mt S peu
échangeable. Les réservoirs de soufre mobile sont l’atmosphère (4,8 Mt S), les
lacs et les rivières (300 Mt S), les sols et les végétaux terrestres (300 000
Mt S), l’océan (1,3 Z 109 Mt S), les sédiments océaniques (3 Z 108 Mt S) et la
biosphère marine (30 Mt S) [fig. 4].
La connaissance du
cycle du soufre présente encore des incertitudes considérables en raison de sa
perturbation par les activités humaines et de fortes disparités existant à
l’échelle régionale. Aussi les chiffres ci-dessous sont-ils très imprécis. On
estime que chaque année les vents transportent puis déposent 20 Mt S de
poussières désertiques (gypse) et 140 Mt S de sels marins émis par la surface
des océans. L’atmosphère reçoit 22 Mt S résultant des émissions par les
végétaux terrestres de composés organiques, où le soufre a un faible degré
d’oxydation, et 43 Mt S provenant du plancton marin sous forme de DMS. Les
volcans injectent 20 Mt S dans l’atmosphère, essentiellement sous forme de SO2.
Les combustions industrielles et les feux de biomasse représentent un rejet
d’environ 100 Mt S, essentiellement sous forme de SO2 et d’aérosols soufrés.
Toutes ces émissions seront finalement oxydées essentiellement en sulfates, qui
seront lessivés par les pluies ou retomberont sous forme de dépôt sec (85 Mt S
sur les continents et 260 Mt S sur l’océan). Les rivières rejettent à l’océan
environ 200 Mt S, dont la moitié proviendrait des activités industrielles, le
reste de l’érosion et des apports par les pluies. Comme l’océan ne semble
éliminer que 135 Mt S sous forme de pyrite et de sulfures hydrothermaux, la
concentration en sulfate océanique devrait augmenter d’environ 65 Mt S par an,
quantité négligeable devant la taille du réservoir océanique.
Le cycle naturel du
soufre est donc profondément perturbé. Si l’effet paraît modeste à l’échelle
globale, il est considérable à l’échelle régionale dans les régions
industrialisées (partie est de l’Amérique du Nord, Europe et une partie de
l’Asie), où les émissions ont doublé, modifiant la composition chimique de
l’air et des pluies. Les dépôts acides ont eu un impact considérable sur
l’environnement, attaquant les monuments et modifiant la qualité des eaux
douces et des sols.
6.
Les métaux lourds
Les sociétés
industrialisées utilisent les métaux. Or ceux-ci participent aux cycles
biogéochimiques. Dans les conditions naturelles, ils se déposent lorsque le
milieu ne permet plus leur mobilité. Ces dépôts varient en qualité, depuis des
métaux presque purs (le cuivre [Cu] à l’état natif) jusqu’à des éléments très
dispersés dont l’intérêt économique est marginal. En l’absence d’activité
humaine, les métaux étaient relâchés dans l’environnement au rythme auquel
l’érosion les libérait. Ces rythmes ont été considérablement modifiés par les
activités minières et les modifications de l’environnement. Les activités
humaines perturbent donc une fois encore les cycles biogéochimiques en
modifiant les flux de métaux entre les différents réservoirs et en changeant la
forme chimique sous laquelle ces éléments étaient déposés.
Les métaux ont parfois
des propriétés semblables, mais tous ont des caractéristiques originales qui
interviennent à un niveau ou un autre de leur cycle. Ils sont susceptibles
d’établir des liens réversibles avec une grande quantité de composés,
organiques ou inorganiques, qui contrôlent leur transport et leur devenir.
Les
métaux dans les cycles biogéochimiques
Pour participer aux
cycles biogéochimiques, il faut qu’un métal soit disponible et qu’il ait été mobilisé,
c’est-à-dire rendu apte à être transporté au-delà de la zone où il s’était
déposé. La disponibilité d’un métal dépend de son abondance et de la stabilité
de ses minéraux. Sa mobilisation est le résultat de l’érosion chimique, qui
altère les roches pour former des composés plus mobiles, ou bien de l’activité
biologique: la croissance des racines broie mécaniquement les roches et expose
des surfaces nouvelles à l’érosion chimique, tandis que les interactions entre
les solutions du sol et les plantes modifient le pH des eaux, leur composition
chimique et leur réactivité. L’activité volcanique contribue aussi à mobiliser
les métaux les plus volatils (Pb, Cd, As, Hg), en extrayant les métaux des
réservoirs profonds et en les injectant dans l’atmosphère.
Les métaux jouent
un rôle essentiel dans de nombreux systèmes enzymatiques. Cependant, tous sont
toxiques à forte teneur. Les micro-organismes jouent un rôle majeur en
convertissant des composés métalliques organiques ou inorganiques en des formes
chimiques solubles, transportables à travers les divers compartiments des
écosystèmes aquatiques ou absorbables sur des particules.
Les activités
humaines ont contribué à accroître la mobilisation des métaux. À titre
d’exemple, la combustion des charbons libère des cendres très enrichies en
métaux (As, Cd, Co, Cr, Cu, Hg, Pb, Se, V, Zn). Certains (As, Pb, Cd, Se, Cr,
Zn) sont concentrés sur les plus fines particules qui s’échappent des cheminées
et sont transportées dans l’atmosphère à de grandes distances. Sous l’action
des eaux, elles sont attaquées et donnent naissance localement à des solutions
couvrant des gammes de pH très larges (de 4 à 13), ce qui permet la
solubilisation des métaux transportés. La disponibilité de ces métaux est ainsi
accrue et ils peuvent être mobilisés, puis transportés par les rivières ou
l’atmosphère jusqu’aux sédiments.
L’exemple
du mercure
Le cycle naturel du
mercure (Hg) est dominé par le transport atmosphérique et les échanges entre
l’atmosphère et la surface des continents ou des océans. Ce métal est relâché
par les volcans et par volatilisation depuis les terres et les mers. Ses temps
de résidence dans l’atmosphère, les sols et l’océan sont respectivement 11
jours, 1 000 ans et 3 200 ans.
Ce cycle naturel a
été très perturbé parce que les processus industriels de haute température sont
responsables d’émissions importantes dans l’atmosphère. Il en résulte une
augmentation de la teneur moyenne en mercure de l’air et des rivières, celle-ci
pouvant atteindre localement un facteur dix.
Dans les sols, la
réduction biologique de la forme oxydée de Hg(+2) conduit à la formation de Hg
métal susceptible de se volatiliser, ce qui lui permet d’entrer dans le cycle
biologique bactérien. Il peut alors passer dans les solutions aqueuses et l’océan,
où il forme des complexes avec des ligands organiques et inorganiques et où il
est associé avec la matière organique dissoute ou particulaire. Dans les
sédiments, il peut être transformé en méthylmercure, composé très volatil et
toxique. Celui-ci est facilement accumulé dans les organismes et envahit la
totalité de la chaîne alimentaire, jusqu’à l’homme, comme cela s’est produit
dans la baie de Minamata (Japon), où le mercure concentré dans le poisson fit
de nombreuses victimes. Les applications industrielles du mercure sont déjà
responsables de plusieurs milliers de cas d’empoisonnement.
Les cycles
biogéochimiques sont d’une extrême complexité et contrôlent, pour une large
part, nos conditions de vie. Les activités humaines ont considérablement
perturbé les équilibres fragiles qui les régissaient. Dès maintenant, les
conséquences sont visibles: accroissement de la teneur en gaz à effet de serre,
modification du pouvoir oxydant de l’atmosphère, pluies acides, baisse de la
qualité des eaux douces, diminution de l’ozone stratosphérique, qui nous
protège du rayonnement ultraviolet.
L’écologie a montré
qu’une population en croissance exponentielle dans un milieu fermé ne peut
survivre à terme. Même si elle est capable de recevoir la nourriture nécessaire
à sa survie, elle périt par accumulation de déchets toxiques. Les hommes vivent
actuellement une telle expérience et la perturbation des cycles biogéochimiques
suit étroitement la croissance de la population mondiale. Cela confirme que
notre planète est un système clos et que nous ne pourrons y maintenir une vie
de qualité qu’en contrôlant la croissance de la population humaine..