Les
Muscles
La motilité est
l’une des propriétés les plus caractéristiques de l’animal. Se déplacer, pour
un tel organisme, est source d’autonomie et donc préalable indispensable à
toute adaptation à l’environnement. Cette propriété est le fait d’un ensemble,
bien caractérisé, de molécules, les protéines contractiles, qui ne sont pas
spécifiques du tissu musculaire et se retrouvent pratiquement dans toutes les
cellules. Dans les cellules animales leur rôle est d’entraîner les mouvements
de la membrane cellulaire externe. Le tissu musculaire contient évidemment
beaucoup plus de protéines contractiles que les cellules non musculaires, mais
en dehors de cet aspect quantitatif trois des propriétés des protéines
contractiles du muscle vont permettre la motilité de l’organe muscle et rendre
compte de ce que l’on perçoit couramment du mouvement musculaire:
– elles sont
arrangées de façon géométrique;
– l’arrangement est
coordonné d’une cellule à l’autre et la fibre musculaire, unité fonctionnelle,
peut ainsi être indifféremment unicellulaire ou pluricellulaire selon le type
de muscle;
– cette mécanique
fonctionne de façon harmonieuse grâce à un système de régulation couplant
l’impulsion nerveuse ou électrique à la contraction par l’intermédiaire d’un
messager unique, le calcium ; il se lie en effet à une famille de protéines
régulatrices comportant toutes un site, toujours le même ou presque, capable de
fixer le calcium.
On peut distinguer
deux grandes catégories de muscles: les muscles striés et le muscle lisse.
Cette distinction a été initialement faite sur la base de données purement
morphologiques , les muscles striés étant, en microscopie, géométriquement
structurés autour d’un motif indéfiniment répété, le sarcomère où
s’interpénètrent filaments protéiques minces (fins) et épais. Par opposition,
le muscle lisse paraît, en première approximation, inorganisé, en fait organisé
de façon différente, à partir de protéines contractiles particulières.
La biochimie et la
génétique ont maintenant donné un support plus précis à cette distinction, les
protéines contractiles extraites de ces deux types de muscle ne donnant pas en
immunochimie de réaction croisée. Le système régulateur est différent aussi;
car le calcium se fixe dans le muscle strié sur le filament mince au niveau de
la troponine alors que cette protéine est absente du muscle lisse, qui régule
sa contraction au niveau du filament épais. Enfin, les gènes codant pour les
deux sortes de protéines contractiles se trouvent sur des chromosomes
différents et présentent relativement peu d’homologies. Comme on le voit, la
classification ancienne reste valable mais repose maintenant sur des bases plus
précises et différentes.
Fonctionnellement,
muscles lisses et muscles striés ont des rôles différents. Les muscles lisses
n’assurent le mouvement que dans la sphère végétative et se trouvent dans
l’utérus, les vaisseaux, l’intestin. Les protéines contractiles qui les
composent sont très proches de celles qu’on retrouve dans les cellules non
musculaires.
Les muscles striés
– bien qu’assurant des fonctions très distinctes, fonction végétative
indépendante de l’innervation motrice pour le myocarde, fonction motrice,
volontaire ou non, pour les muscles dits squelettiques – se subdivisent sur la
base de critères physiologiques, immunochimiques, biochimiques et génétiques,
en quatre groupes principaux: les muscles auriculaires et ventriculaires du
myocarde, les muscles squelettiques rapides (II ou f ) et lents (I ou s ), ces
derniers ayant quelques analogies avec le muscle ventriculaire. Cette
classification est incomplète et ne prend pas en compte le muscle squelettique
intermédiaire, qui n’est qu’un mélange des formes rapides et lentes, ou des
types rares comme le muscle "super-rapide", mais elle recouvre la
très grande majorité des muscles striés et permet d’expliquer la majeure partie
des données physiologiques.
Sous l’angle
biochimique, le tissu musculaire a, par rapport à d’autres tissus, un certain
nombre de caractéristiques qui en font un modèle biologique très particulier et
qui aussi conditionnent sa pathologie.
C’est d’abord le
lieu où, dans l’organisme, l’énergie chimique potentielle (celle du morceau de
sucre!) se transforme en énergie mécanique. Le changement d’état qui découle du
métabolisme musculaire est accompagné d’une importante production de chaleur,
proportionnelle au travail accompli, ce métabolisme étant essentiellement
catabolique . Le muscle peut synthétiser des protéines, des acides nucléiques,
etc., mais à l’état normal cette fonction anabolique est mineure, la
production, aérobie ou anaérobie, d’énergie et sa transformation représentant
la fonction majeure de cet organe.
C’est ensuite le
premier tissu dans lequel on a pu démontrer le rôle de messager régulateur de
l’ion calcium . Il augmente dans le cytoplasme de la cellule en réponse à une
stimulation exogène dans le muscle squelettique, ou à une onde endogène dans le
cœur; en diffusant ensuite sur l’appareil contractile, il va assurer de façon
coordonnée la contraction. Il a été démontré par la suite que le calcium assure
ce rôle de messager dans d’autres systèmes, hormonaux par exemple.
Enfin, le muscle
peut s’adapter à l’effort demandé de deux manières: en s’étirant, ce qui dans
l’immédiat engendre une contraction plus forte; en changeant sa structure car
génétiquement chacune des protéines contractiles existe sous plusieurs formes –
toutes ces formes ne sont pas exprimées en même temps et pour s’adapter à long
terme le muscle peut utiliser telle forme plutôt que telle autre selon le type
d’effort demandé. Il peut aussi s’hypertrophier. Le muscle est donc doué de
plasticité .
Les maladies
primitives, souvent génétiques, du muscle existent mais sont rares. En fait, le
principal intérêt des études fondamentales est de révéler les facultés
d’adaptation du système musculaire: adaptation du muscle cardiaque à une
hypertension artérielle, du muscle squelettique à un entraînement sportif, du muscle
utérin à une grossesse.
1.
Les fibres musculaires
Histologie
et histochimie du muscle strié
Nos connaissances
concernant ce tissu ont progressé récemment grâce aux raffinements apportés à
un certain nombre de techniques classiques en biologie. La simple histochimie
devenue immunohistochimie a permis d’établir de réelles relations entre
biochimie et histologie. La microscopie électronique s’est enrichie en
utilisant des marqueurs immunologiques spécifiques des protéines (marqueurs
liés à des grains d’or). La diffraction aux rayons X informatisée a permis de
reconstituer dans l’espace l’appareil contractile en entier. La signification
physiologique des protéines contractiles a été explicitée par l’utilisation de
nouvelles préparations, comme celles des fibres musculaires pelées (dépourvues
de membrane externe) que l’on peut par exemple faire contracter après avoir
enlevé, ou phosphorylé, une protéine. Toutes les protéines contractiles ont été
séquencées (on en connaît la structure complète) soit biochimiquement, soit par
génie génétique (on découvre la structure du gène et on en déduit celle de la
protéine).
C’est tout cet
ensemble qui a permis une nouvelle classification, montrant entre autres la
remarquable coordination du développement de ces cellules. Celles qui se
contractent vite, du fait de protéines contractiles à activité élevée, ont un
métabolisme énergétique et des flux calciques intracellulaires rapides.
Toutes les fibres
musculaires ne sont pas innervées. Le myocarde par exemple bat de façon régulière
grâce à une "pendule" biologique située dans l’oreillette droite et
qui émet périodiquement un signal électrique, transmis de cellule en cellule et
qui finalement déclenche la contraction en augmentant transitoirement le
calcium de la cellule musculaire. Au contraire, le muscle squelettique rapide
répond à une excitation nerveuse qui arrive par le nerf sur la surface de la
cellule musculaire au niveau d’une formation, la plaque motrice, à partir de
laquelle diffuse un médiateur (cholinergique) qui lui aussi finalement va
augmenter le calcium de la cellule et déclencher la contraction.
La cellule
musculaire
La cellule
musculaire du muscle squelettique est allongée (on l’appelle aussi ici fibre
musculaire; fig. 1); elle mesure souvent plusieurs centimètres de long (dans le
muscle péronier du chat par exemple) et quelques dizaines de micromètres de
diamètre. Elle est remplie d’un matériel fibrillaire disposé en longs filaments
parallèles s’étendant d’un bout à l’autre de la fibre et enserrant entre eux les
éléments habituels que contiennent toutes les cellules, mitochondries, appareil
de Golgi, grains de glycogène et de ribosomes. Ce matériel cytoplasmique
renferme un réseau dense tubulaire non perméable qui sert à stocker le calcium,
le réticulum sarcoplasmique, et un réseau fibrillaire complexe, fait de
protéines différentes, le cytosquelette qui, comme son nom l’indique, maintient
à la cellule sa forme d’ensemble. Ce type de muscle possède des cellules
multinucléées. Les noyaux, parfois une centaine, sont périphériques, sous la
surface de la membrane externe. Des structures cellulaires plus différenciées
assurent le contact avec la plaque motrice (terminaison des nerfs moteurs) et
les extrémités tendineuses.
Cet aspect varie
selon le type de muscle strié. La cellule ventriculaire myocardique est
beaucoup plus petite, rectangulaire, mononucléée et très riche en
mitochondries. Fait important, dans ce tissu, la cellule musculaire n’est pas
une fibre, le terme étant ici réservé à des structures pluricellulaires
fonctionnellement homogènes [cf. MYOCARDE].
Ces deux grands
types de muscle strié sont à l’échelon cellulaire presque identiques, dimension
des cellules mise à part. À l’échelle de l’organe, le raccourcissement de la
longueur du muscle (ou la diminution de la cavité cardiaque) qui caractérise la
contraction se retrouve au niveau de la fibre musculaire squelettique (ou du
myocarde cardiaque). Il se retrouve encore à un échelon plus petit jusqu’au
niveau de l’unité élémentaire de la contraction, le sarcomère, structure
géométrique composée de plusieurs protéines et qui est le plus petit élément à
se raccourcir au cours d’une contraction (ou à s’allonger lors de la
relaxation).
Le sarcomère
Cet élément se voit
en microscopie électronique. Sur un plan longitudinal, il est délimité par deux
lignes Z, plus épaisses dans le muscle lent ou dans le ventricule cardiaque, et
comprend une alternance de filaments minces et de filaments épais qui
"s’interdigitent" comme les doigts des deux mains si elles sont
croisées. Le filament mince est ancré dans la ligne Z qu’il contribue à former.
Il est composé de longs polymères d’actine (P.M. 42 000) enroulés autour d’une
protéine fibrillaire, la tropomyosine (dimère, P.M. 70 000), véritable cordon
du filament, comme le montre la figure 7 a. Sur cette structure se situe, tous
les 40 nanomètres, un complexe qui assure, en fixant le calcium, la régulation
de la contraction.
Le filament épais
est moins complexe et n’est composé que de deux types de molécules: la myosine
, majoritaire, et la protéine C polymorphe, sorte de lien assurant la cohésion
du filament. La myosine est une énorme protéine (P.M. 500 000) en forme de
canne de hockey dont le manche constitue le corps du filament, alors que la
crosse forme un pont entre le filament épais et les filaments minces contigus
(fig. 2 e). C’est le mouvement de ce pont qui va assurer le glissement des 2
filaments l’un par rapport à l’autre et, par là, la contraction. Chaque
filament épais contient de 300 à 400 molécules de myosine qui sont divisées en
deux parties égales (fig. 3), de telle sorte que les crosses, ou têtes de la
molécule, en opposition de chaque côté du milieu du filament épais agiront sur
les filaments minces de façon à rapprocher l’une de l’autre les extrémités
distales du sarcomère, c’est-à-dire les deux lignes Z (fig. 2 c).
La myosine est
aussi une enzyme possédant à son extrémité renflée (ou tête) un site
enzymatique ATPasique, capable d’hydrolyser l’ATP, c’est-à-dire capable d’utiliser,
là où se fait le changement d’état énergétique, l’énergie biochimique de l’ATP.
Cette activité ATPasique, on le verra, caractérise un type de muscle.
Il est important de
situer maintenant le sarcomère dans un espace à trois dimensions sur des plans
de coupe perpendiculaires au précédent (fig. 2 d). Le filament épais y apparaît
alors entouré d’une façon rigoureusement hexagonale par 6 filaments minces (12
chez certains invertébrés), chacun de ces 6 filaments minces faisant lui-même
partie d’un nouvel hexagone, autant que le demande l’épaisseur de la fibre. Le
mouvement contractile apparaît alors plus clairement en imaginant le mouvement
d’un des doigts d’une main placée au centre du berceau formé par les
hypothétiques 6 doigts de l’autre main.
Cette structure
rend compte d’un certain nombre d’observations faites autrefois en microscopie
optique. Au repos, le muscle est fait d’une alternance de bandes claires,
correspondant aux zones où ne se superposent que les filaments minces, la ligne
Z n’étant pas visible à ce grossissement, et de bandes sombres faites de la
superposition de filaments minces et épais. Lors de la contraction, la fibre
devient homogène. En microscopie (fig. 1 et 2 a), cela se traduit par
l’alternance en relaxation tout le long du sarcomère d’une ligne Z, d’une
hémi-bande claire I, d’une large bande sombre A, puis d’une nouvelle hémi-bande
claire I et d’une ligne Z. La bande A est centrée par une ligne sombre M formée
des protéines qui maintiennent la structure transversale de l’édifice,
elle-même encadrée d’une zone claire correspondant au manche des molécules de
myosine les plus proches de la ligne médiane et donc à la portion du filament
épais où les myosines n’émettent plus de pont.
La myosine est la
protéine la plus abondante du tissu musculaire qui en contient 48 mg/g de tissu
frais pour 25 mg/g d’actine.
Génétique
Comme toute
protéine, les protéines contractiles sont synthétisées à partir d’un code situé
dans l’ADN (acide désoxyribonucléique) des chromosomes du noyau cellulaire. Les
gènes des sous-unités lourdes de la myosine de muscle strié sont les mieux
connus et se répartissent en deux groupes:
– les gènes codant
pour les myosines de muscles squelettique, embryonnaire, néonatal et rapide,
situés, proches les uns des autres, sur le chromosome 11;
– les gènes codant
pour les myosines cardiaques a et b, situés en tandem sur un même chromosome.
L’analyse chimique
de ces gènes a permis de compléter les séquences (structure chimique) en acides
aminés de plusieurs protéines contractiles. Elle a surtout donné une base
précise à la notion de plasticité du muscle. En effet, la plupart des protéines
musculaires existent sous différentes isoformes auxquelles correspondent des
isogènes . Plusieurs exemples peuvent en être donnés:
– les deux groupes
de sous-unités lourdes de la myosine: le groupe codant pour les myosines de
muscles squelettique, embryonnaire, néonatal et adulte rapide et le groupe
codant pour les deux formes cardiaques a et b;
– les isogènes et
les pseudogènes (gènes de structure comparable mais inactifs) de l’actine
codant pour diverses isoformes cardiaques, squelettiques et lisses;
– les isogènes (au
moins 4) de la Ca++-ATPase du réticulum sarcoplasmique. Fréquemment, ces
isogènes sont plus différents dans leur portion non codante que dans leur
portion codante, ce qui fournit un outil précieux. La régulation de leur
expression est mal connue mais se fait par deux mécanismes selon qu’il s’agit
de gènes entièrement distincts comme ceux de la myosine, ou de gènes pour
lesquels la régulation ne porte que sur la portion du gène spécifique de
l’isoforme comme il en va pour certaines troponines.
Les zones de
jonction
La plaque motrice
(fig. 4), ou jonction neuromusculaire, est l’endroit où la variation de
potentiel électrique qui caractérise l’influx nerveux va voir ses effets
amplifiés par la libération d’un médiateur, l’acétylcholine, qui permettra la
dépolarisation cellulaire et donc la contraction. C’est une structure
histologique qui comporte du côté musculaire des plissements réguliers de la
membrane externe de la fibre musculaire; c’est l’appareil sous-neural découvert
par R. Couteaux. Ces plissements sont situés dans un petit épaississement de la
substance cellulaire, appelé la sole. La fibre nerveuse qui y arrive comprend un
tissu de soutien, fait de cellules de Schwann qui recouvrent la plaque motrice,
et l’axone qui transmettra le signal nerveux. L’axone perd à ce niveau sa gaine
de myéline, s’enrichit en vésicules d’acétylcholine et en mitochondries et va
former des indentations qui pénètrent dans les plis de l’appareil sous-neural
et assurent la jonction neuromusculaire. C’est à ce niveau que se trouvent les
enzymes qui, en synthétisant l’acétylcholine, assurent la réplétion des
vésicules et l’enzyme acétylcholinestérase, qui fait l’hydrolyse de cette
acétylcholine et permet à la contraction d’être transitoire.
La jonction avec le
tendon est une jonction entre, du côté musculaire, les ligne Z des derniers
sarcomères et, du côté tendon, les fibres d’une molécule fibrillaire, le
collagène.
La contraction et
la relaxation d’un sarcomère (fig. 5)
Le sarcomère se
raccourcit grâce au mouvement effectué par les "ponts" de la myosine.
Ce mouvement, comparable à celui d’un doigt qui se replie, va tirer l’un vers
l’autre les filaments minces (et les lignes Z), pouvant même les faire se
chevaucher dans les contractures extrêmes (fig. 5 a et b). Cela va entraîner la
disparition des hémi-bandes claires et la fibre deviendra uniformément opaque.
Sur un plan longitudinal, il y aura vraiment glissement (théorie du glissement
de Huxley) des deux types de filament l’un par rapport à l’autre.
Biochimiquement, l’un des éléments les plus importants, et les moins contestés,
du phénomène est que l’ATP à forte concentration dissocie la myosine du filament
mince (fig. 5 c, 2 et 3). Cette propriété en quelque sorte lubrifiante de l’ATP
explique la rigidité des muscles d’un cadavre puisque l’ATP disparaît des
tissus après la mort, ce qui entraîne une contracture irréversible des
sarcomères.
On le voit, la
myosine, et plus précisément la tête de la myosine, joue ici un rôle capital
double: c’est elle qui va physiquement effectuer le mouvement élémentaire,
c’est aussi elle qui, du fait qu’elle possède une activité enzymatique
ATPasique, va à la fois libérer l’énergie de l’ATP et permettre la connexion
entre les filaments. La relaxation, on le voit, est un phénomène aussi actif
que la contraction.
Le couplage
métabolisme énergétique et contraction
La reconstitution
des réserves en ATP est bien entendu une des clefs du fonctionnement
musculaire. Le sarcomère, par le biais de l’ATPase de la myosine, n’est pas le
seul consommateur d’ATP, mais il en est le plus important avec les autres
ATPases membranaires responsables des échanges ioniques actifs.
D’une manière générale,
deux types de situation peuvent se rencontrer. Les muscles striés squelettiques
lents et le ventricule cardiaque reconstituent leur ATP essentiellement en
aérobiose grâce à leurs mitochondries. Les muscles rapides utilisent plus
volontiers la glycolyse anaérobie à cet effet. Dans les deux cas, le muscle
dispose d’un volant de sécurité énergétique sous forme de créatine phosphate,
ou phosphagène composé à haut potentiel énergétique comme l’ATP, qui permet sa
production grâce à une enzyme, la créatine kinase, localisée dans le plan
médian (ligne M) du sarcomère. Cette enzyme existe sous deux formes, dont
l’une, mitochondriale, permet la sortie d’ATP hors de cet organite
intracellulaire.
Le couplage
excitation électrique-contraction
La contraction du sarcomère
se déclenche à la suite d’un signal constitué par une variation de la
concentration intracellulaire en calcium ([Ca]i ). Cette variation va
renseigner le sarcomère sur la nature de l’impulsion reçue au niveau de la
membrane de la cellule musculaire.
La manière dont le
[Ca]i va augmenter dans cette cellule sous l’effet d’une variation de potentiel
électrique varie selon le type de muscle et selon l’espèce animale. On peut
donc opposer de façon schématique:
– les muscles dans
lesquels les variations du [Ca]i passent par la seule membrane externe: ces
muscles s’arrêtent dans un milieu sans calcium;
– les muscles qui,
au contraire, fonctionnent en circuit fermé, le signal électrique y induisant
la libération de calcium, à partir d’un sac étanche intracellulaire, le
réticulum sarcoplasmique : ces muscles se contractent en l’absence de calcium
dans le milieu externe;
– des formes
mixtes.
L’entrée du Ca++
(fig. 6) dans la cellule musculaire se fait par simple ouverture d’un canal, le
Ca++ externe étant pratiquement dix mille fois plus concentré que le [Ca]i .
Cette ouverture est commandée par le seul changement de voltage, dans le
myocarde par exemple; elle peut en plus être sous la dépendance de diverses
hormones dans le muscle lisse. La sortie du Ca++ (nécessaire à l’homéostasie
dans ce type de cellule) se fait donc contre un gradient, soit par couplage
avec un mouvement entrant de Na+, soit sous l’action d’une ATPase.
La circulation
intracellulaire du calcium met en jeu une structure, le réticulum sarcoplasmique
(fig. 6), très abondant dans le muscle squelettique, inexistant dans le cœur de
certaines espèces (ventricule de grenouille), modérément abondant dans le
myocarde des mammifères et le muscle lisse. La concentration en Ca++ dans cette
structure est élevée. Son relargage (ou décharge intracellulaire) est dépendant
du voltage et peut être, dans certains muscles, autocatalysé par le courant
entrant Ca++ provenant de l’extérieur. Sa recaptation (donc recharge du
réticulum), déterminant majeur de la relaxation, est le fait d’une Ca++ ATPase,
dite du réticulum sarcoplasmique, qui est dans certains tissus activée par les
catécholamines.
Il est important de
souligner que ce schéma général n’est pas particulier au muscle et se retrouve dans
toutes les cellules dont l’activité est Ca++-dépendante, c’est le cas de
nombreuses cellules endocriniennes. Le [Ca++]i va y varier (fig. 6) entre 10-7
et 10-8 M au repos, entre 10-6 et 10-5 M lors de l’excitation. L’onde de
calcium peut d’ailleurs se voir avec des marqueurs fluorescents;
chronologiquement, elle suit le signal électrique et précède le phénomène
mécanique confirmant bien le rôle de messager de cet ion.
À concentration
faible en [Ca]i , le muscle strié est relaxé; cela est dû à l’action découplante
d’un complexe de protéines, les troponines , situé tous les 40 nm sur le
filament mince (fig. 7). L’une des troponines, I (inhibitrice), empêche,
probablement stériquement, la liaison myosine-actine. Lors de l’excitation, le
[Ca]i nouveau venu se fixe sur des sites spécifiques de la troponine C (liant
le calcium), ce qui lève l’inhibition et permet le lien physique entre les deux
filaments. Incapables à elles seules de contrôler tout le filament mince, les
troponines voient leur action diffuser grâce à une protéine fibrillaire
allongée le long du polymère, la tropomyosine .
Biologie de la
fibre musculaire lisse
Son importance
pharmacologique absolument essentielle en fait un objet récent de recherches
actives. Ce type de fibre, comme on l’a dit, répond aux caractéristiques
d’ensemble des muscles mais s’en distingue par plusieurs particularités.
Le muscle lisse a
une composition en protéines contractiles différente et contient environ 5 fois
moins de myosine et deux fois plus d’actine (rapport actine sur myosine du
muscle strié = 4, du muscle lisse = 35). La densité, l’arrangement et la
structure des sarcomères sont différents mais les sarcomères existent, ils ont
simplement des filaments minces beaucoup plus longs et des filaments épais plus
courts, ce que reflète la composition en protéines contractiles.
Le système
régulateur est aussi différent. Il n’y a pas de troponine et le muscle utilise
d’autres systèmes dont au moins un est connu, c’est la phosphorylation
calcium-dépendante d’une des deux paires de sous-unité légère de la myosine.
Cette réaction active l’ATPase de la myosine et déclenche la contraction. Elle
est contrôlée par une kinase, très active dans ce muscle, calcium-dépendante.
Elle est également régulée, de façon plus complexe, par les catécholamines et
par le monoxyde d’azote (via nucléotides cycliques). Un autre mode de
régulation mettant en jeu la caldesmone a été décrit, il est lui aussi
calcium-dépendant.
Enfin, on l’a vu,
si le muscle lisse possède lui aussi un réticulum sarcoplasmique, il a un
système membranaire de canaux calciques hormono-dépendants. La pharmacologie du
muscle artériel et de l’hypertension artérielle a fait de ce système une cible
privilégiée.
Biologie du muscle
strié
Plasticité
Le muscle a la
propriété de modifier sa structure afin de s’adapter à des variations
permanentes de travail. Deux exemples simples peuvent en être donnés: le biceps
de l’athlète qui s’hypertrophie sous les effets de l’entraînement ; le cœur et
la paroi artérielle des malades ayant une hypertension artérielle. Il est
important pour comprendre cette notion, qui n’est pas nouvelle mais a pris une
dimension nouvelle grâce au génie génétique, de souligner plusieurs points. Ce
mode d’adaptation n’est pas le seul et il existe tout un ensemble de mécanismes
adaptationnels rapides en réponse à des changements brutaux des conditions de
travail. C’est le muscle entier qui change. Tout l’équipement enzymatique, ou
presque, de la cellule musculaire du biceps de l’athlète entraîné va être
modifié, et pas seulement celui qui concerne les protéines contractiles. Les
changements quantitatifs et qualitatifs ne sont pas nécessairement liés, on
peut par innervation croisée transformer un muscle rapide en muscle lent sans
changer grand-chose à son poids. Les modifications qualitatives dans la
composition biochimique du muscle sont généralement isoformiques ou
isoenzymatiques, c’est-à-dire que le génome d’un muscle soumis à des conditions
de travail nouvelles aura tendance à exprimer de plus en plus, s’il en a la
possibilité, l’isoforme la mieux adaptée, par exemple la myosine lente dans
l’exemple rapide. Cette isoforme peut être, c’est souvent le cas en pathologie,
une forme embryonnaire.
Principaux types
de muscles
Pour le muscle
squelettique, on distingue au moins deux types, le rapide et le lent. Cette
distinction, initialement établie sur la base de données histochimiques, repose
maintenant sur des bases biochimiques et génétiques. Les deux muscles possèdent
chacun des isoformes spécifiques, rapide (ou f ) et lente (ou s ), de la
plupart des protéines contractiles, c’est-à-dire de la myosine, de la
tropomyosine et des éléments du complexe troponine, mais aussi de la Ca++
ATPase du réticulum sarcoplasmique. Ces isoformes (ou isoenzymes pour la
myosine) ont la même fonction (par exemple ATPasique pour la myosine), mais
leur structure est un peu différente, comme cela a été démontré en analysant la
structure des protéines et de leur gène. L’utilisation d’anticorps spécifiques
a permis de les localiser avec précision et de savoir à quel type de
métabolisme elles étaient liées. Le muscle rapide, responsable du mouvement
rapide, volontaire, peut contracter une dette dite en oxygène, qu’il récupère
au repos; grâce à son métabolisme essentiellement anaérobie, il est peu
résistant à la fatigue. Sa couleur blanche est due à sa pauvreté en myoglobine
et en mitochondries. En dehors du muscle lent qui s’oppose point par point au
précédent, on connaît grâce à l’immunohistochimie des sous-groupes comme les
muscles rapides rouges (f B ou II B) ou les formes mixtes.
Le muscle cardiaque
n’échappe pas à la règle, mais ici la spécificité d’espèce prédomine. Alors que
chez tous les mammifères l’oreillette est plus rapide que le ventricule, le
ventricule lui-même est rapide chez le rat et la souris, lent au contraire chez
l’homme et le chien. Les isoformes de protéines contractiles du myocarde sont
distinctes de celle du muscle squelettique mais, pour certaines, souvent très
proches du muscle squelettique lent. La myosine y est par contre polymorphe et
la vitesse de contraction des ventricules dépend en fait des proportions
relatives des isoformes rapides et lentes. Cette proportion varie selon
l’espèce, l’état hormonal et le travail effectué.
Les changements
de structure
On peut transformer
un muscle squelettique rapide en muscle lent par innervation croisée, mais
aussi en stimulant électriquement pendant un mois le muscle rapide à basse
fréquence. L’entraînement sportif induit l’apparition progressive de fibres
lentes dans des muscles à prédominance de fibres rapides. Cette transformation
est bien due à un changement au niveau du génome musculaire, l’expression des
formes rapides y étant réprimée au profit de celle des formes lentes. Ce
changement permet à l’organisme d’acquérir des fibres plus résistantes à la
fatigue, possédant un métabolisme énergétique plus riche et plus aérobie, et
utilisant un appareil contractile capable de développer la même force mais plus
lentement, donc de façon plus économique. Fréquemment le muscle s’hypertrophie,
ce qui contribue à l’adapter à la nouvelle situation. Le muscle cardiaque
possède la même capacité de
s’hypertrophier et
de se contracter plus lentement au cours d’une surcharge mécanique [cf.
MYOCARDE].
La transformation
d’un muscle lent en muscle rapide est possible mais les conditions de son
obtention sont plus complexes.
Corrélation
biochimie/physiologie
On peut
schématiquement définir en physiologie un muscle donné par deux courbes (fig.
8). Sur la courbe vitesse-charge (a), la vitesse reflète l’activité ATPase des
myofibrilles pour une charge donnée; à charge nulle, la Vmax représente la
capacité maximale du muscle. Vmax, comme son équivalent biochimique, l’ATPase
de la myosine mesurée dans des conditions maximales, est indépendante des
conditions de charge et de longueur imposée et dépend du type de muscle, en
fait du type d’isoenzyme qui compose ce muscle; de la concentration en calcium
intracellulaire et/ou extracellulaire.
La longueur
initiale du muscle sur la courbe tension-longueur (fig. 8 b) est en fait celle
de l’unité élémentaire de la contraction, le sarcomère. En cas d’étirement
maximal, le sarcomère peut atteindre 3,6 mm: dans ce cas, il n’y a plus aucun
pont de myosine en contact avec le filament mince et la tension active est
nulle. À l’extrême, le muscle non soumis à un étirement initial se tasse et ne
développe plus de tension pour une longueur de 1,0 à 1,5 mm. La longueur qui
donne une tension maximale le fait sur un assez large plateau. Dans la figure
8, en a comme en b, la tension, qu’elle soit imposée ou active, reflète le
nombre de ponts myosine-actine réellement activés à l’instant de la mesure.
2.
Physiologie du muscle squelettique
Les propriétés
essentielles des muscles striés – excitabilité, contractilité, élasticité – sont
connues depuis longtemps, puisque Galvani découvrait en 1791 que la contraction
musculaire pouvait être provoquée par des phénomènes électrostatiques (cf.
ÉLECTROPHYSIOLOGIE, chap. 1). Le fait que ces trois propriétés fondamentales ne
soient pas seulement celles des muscles, mais à divers degrés celles de toute
cellule vivante, n’est pas étranger à l’intérêt constamment attaché par les
physiologistes à l’étude des muscles. Ceux-ci ont été et sont encore l’un des
matériels les plus propices aux recherches fondamentales en physiologie
générale.
On trouvera, dans
l’article ÉLECTROPHYSIOLOGIE (chap. 4), la brève description des méthodes et
des progrès de l’exploration électrique des nerfs et des muscles.
Parallèlement à ces
travaux, d’autres expérimentateurs étudiaient la contraction musculaire au
moyen des myographes, tels ceux mis au point par Marey dès 1868. On a aussi
cherché à étudier l’activité des muscles par l’intermédiaire de la chaleur
qu’elle engendre: les noms de Chauveau (1895) et surtout de A. V. Hill (1920)
restent attachés à ces recherches.
Enfin, on
s’intéressait encore aux manifestations extérieures de la fonction hautement
spécialisée qu’exerce le tissu musculaire: la production de mouvements (analyse
cinétique "chronophotographique" de la marche ou de la course,
inventée par Marey) ou, plus généralement, la mesure d’un travail mécanique et
son enregistrement au cours de son déroulement (ergographe de Mosso,
bicyclettes ergographiques, etc.).
Propriétés
fondamentales
Excitabilité
L’excitabilité est
la faculté d’une cellule ou d’un tissu vivants de répondre par une modification
spécifique à une modification brusque du milieu extérieur capable de réaliser
une excitation . Pour le tissu musculaire, cette réponse est la contraction.
Il existe plusieurs
sortes d’excitants du muscle:
– un excitant
naturel, l’influx nerveux, transmis au muscle par son nerf moteur et qui
provoque une contraction physiologique;
– des excitants artificiels
(mécaniques, chimiques, physiques), qui provoquent une contraction accidentelle
ou expérimentale.
De ces excitants
artificiels, le plus couramment utilisé est l’excitant électrique parce qu’il
est d’application facile et qu’il est exactement dosable.
Quoi qu’il en soit,
l’excitation électrique ne déclenche une réaction du muscle que si elle
intervient brusquement et non de manière lente et progressive. En outre, elle
doit atteindre une certaine intensité qu’on appelle intensité-seuil, seuil d’excitation
ou, plus couramment, intensité liminaire. Enfin, un courant brusque et
d’intensité suffisante n’est efficace que s’il agit pendant un certain temps,
appelé "temps utile"; il y a ainsi une durée liminaire comme il y a
une intensité liminaire. Entre ces deux valeurs, il existe une relation
constante reconnue par les physiologistes comme une loi générale de tous les
tissus excitables.
Il en va de même
pour les muscles. L’étude de la courbe intensité-durée montre en effet que,
au-delà du temps utile, l’intensité-seuil reste invariable, quelle que soit la
durée du passage du courant: ce niveau, appelé par les anciens physiologistes
"seuil fondamental", a été désigné par L. Lapicque sous le nom de
"rhéobase" (réos , courant). Par contre, lorsque le temps de passage
du courant est inférieur au temps utile, les intensités liminaires augmentent
et deviennent supérieures à la rhéobase. C’est pourquoi Lapicque a proposé dès
1909 de définir l’excitabilité musculaire par une constante de temps
conventionnelle qu’il a appelée la "chronaxie" (chronos , temps; axia
, valeur): c’est la durée de passage du courant qui atteint le seuil de
l’excitation avec une intensité égale au double de la rhéobase.
Contractilité
Il existe deux
types de contraction musculaire. Si les deux insertions sont mobiles, ou
seulement l’une des deux, la contraction entraîne un raccourcissement du
muscle: elle est dite isotonique . Si, au contraire, les deux extrémités
restent fixes, il n’y a pas de raccourcissement, mais une mise en tension des
fibres musculaires: la contraction est dite isométrique . Les phénomènes
mécaniques de la contraction musculaire peuvent être enregistrés graphiquement
et mesurés au moyen d’appareils appelés "myographes".
En excitant le
muscle avec un stimulus unique, on enregistre un myogramme caractéristique de
la secousse musculaire élémentaire , sous la forme d’une courbe comprenant
trois parties: d’abord la période de latence, ou "temps perdu",
comprise entre l’application directe du stimulus et l’instant où le muscle
commence à se contracter et qui est chez l’homme de l’ordre de 2 à 10
millisecondes; ensuite, la période de contraction, ou phase d’énergie
croissante, qui s’étend du début de la contraction au sommet de la courbe et
dont la durée est en moyenne de 50 millisecondes, mais varie selon les muscles;
enfin, la période de décontraction, ou phase d’énergie décroissante, encore
appelée période de relaxation, qui va du sommet de la secousse au point où le
muscle est revenu à son état antérieur à l’excitation et dont la durée est
toujours supérieure à celle de la phase précédente.
La forme de la
secousse élémentaire est indépendante de la nature du stimulus, de sa durée, de
son point d’application, mais elle peut être modifiée dans ses trois phases par
des influences physiologiques ou physiopathologiques, telles que les variations
de température, la fatigue, l’anémie, l’augmentation de la charge.
Quand, au lieu
d’être soumis à un stimulus unique, le muscle subit des excitations répétées,
sa réponse varie selon la fréquence des stimulus. Si la seconde excitation
intervient au cours de la période de décontraction de la secousse initiale, à
celle-ci se superpose la deuxième secousse; ensuite, les excitations se
répétant à la même cadence, on enregistre finalement un tracé formé
d’oscillations successives, qui monte jusqu’à un maximum, puis se maintient en
plateau ondulé jusqu’à la fin des excitations. Si les excitations se
reproduisent à une fréquence telle qu’elles surviennent pendant la période
d’énergie croissante de la secousse, la courbe atteint d’emblée un niveau élevé
et s’y maintient sous la forme d’un plateau rectiligne. Ce type de contraction
soutenue déclenchée par des excitations réitérées est appelé tétanos
physiologique ; il est dit imparfait dans le premier cas et parfait dans le
second. Il traduit le fait qu’une sommation des secousses élémentaires est
possible.
La production d’un
tétanos physiologique est fonction de la rapidité de contraction de chaque
muscle; la fréquence tétanisante sera donc différente pour un muscle lent et
pour un muscle rapide. De même, toute influence physiologique ou accidentelle
(fatigue) qui modifie la durée de la secousse musculaire modifie en même temps
la fréquence tétanisante.
Élasticité
L’élasticité n’est
pas à proprement parler une propriété physiologique, mais une propriété
physique. Celle du muscle se manifeste cependant sous des aspects particuliers,
qui lui font jouer un rôle important dans la physiologie de la contraction. Un
muscle au repos, soumis à l’influence d’une charge, s’étire; mais, à l’inverse
d’un corps brut dit "parfaitement élastique", l’allongement qu’il
subit n’est pas proportionnel à la force de traction. À mesure que la charge
augmente, l’allongement s’atténue de sorte que la courbe qui traduit l’étirement
en fonction du poids apparaît concave vers le haut. Si on répète l’expérience
sur un muscle en état de tétanos physiologique parfait, les phénomènes sont en
quelque sorte inverses, et la courbe de l’étirement est alors convexe vers le
haut. L’élasticité augmente donc à la faveur de la contraction. Cette
particularité est due à ce que, dans le muscle, l’élasticité est modifiée par
des frottements moléculaires se produisant soit au sein même de la substance
contractile, soit au niveau des sarcolemmes ou des enveloppes conjonctives: il
s’agit d’une "visco-élasticité". Cette élasticité particulière a pour
premier effet de diminuer l’extensibilité du muscle. De plus, elle joue un rôle
d’amortisseur dans les variations brusques de la contraction. Elle améliore enfin
le rendement mécanique en accumulant dans certains mouvements de l’énergie
potentielle, qui sera restituée sous forme de travail ou se dissipera en
chaleur (phénomènes de thermoélasticité).
Phénomènes
électriques
Les fibres
musculaires, comme les cellules nerveuses, entretiennent de part et d’autre de
leur membrane une différence de potentiel, ou potentiel de repos, qui témoigne
la polarisation de la membrane. Toute contraction musculaire est immédiatement
précédée d’une dépolarisation, qui se manifeste d’abord au niveau de la
jonction neuromusculaire, ou plaque motrice, sous l’action de l’acétylcholine
libérée par l’influx nerveux. Ce potentiel de plaque excite la membrane
musculaire, qui propage l’onde de dépolarisation tout au long de la fibre sous
la forme d’un potentiel d’action.
Le potentiel
d’action musculaire (fig. 9), recueilli par micro-électrode dans la fibre
isolée, est semblable à celui des fibres nerveuses non myélinisées: il obéit à
la loi du "tout ou rien". Il se développe en deux phases: la première
est brève et ample, c’est le potentiel de pointe (ou spike des Anglo-Saxons),
d’une durée de 1,5 milliseconde environ, pour les fibres striées les plus
rapides, et d’une amplitude de 80 à 100 millivolts, qui évolue tout entier dans
la période de latence mécanique, donc avant le début de la contraction, et qui
est suivi d’une période réfractaire de 2 à 5 millisecondes; la deuxième est
caractérisée par sa grande lenteur, c’est le potentiel tardif , qui correspond
à la repolarisation de la membrane.
En pratique
clinique, l’étude des potentiels d’action musculaires se fait par
l’électromyographie, dont le principe consiste à traduire sur l’écran d’un
oscillographe catholique les variations de potentiel recueillies soit à la
surface du muscle par électrodes cutanées de contact, soit à l’intérieur du
muscle par aiguille-électrode (fig. 10). On peut ainsi enregistrer des
électromyogrammes de contraction volontaire ou réflexe et des électromyogrammes
de contraction provoquée par stimulation du nerf moteur ou du muscle
(stimulodétection).
Contraction
physiologique et travail musculaire
À son arrivée dans
le muscle, la fibre nerveuse motrice, qui n’est autre que l’axone d’un
motoneurone, se ramifie en un certain nombre de branches, dont chacune aboutit
à une fibre musculaire. Le motoneurone, son axone et les fibres musculaires
innervées par lui constituent un ensemble fonctionnel auquel Sherrington a
donné le nom d’unité motrice . Les fibres musculaires d’une même unité motrice
répondent à la loi du "tout ou rien": pour une excitation suffisante,
elles se contractent d’emblée au maximum. Dépendant du même neurone, elles
reçoivent toutes la même excitation et leur contraction est sensiblement
identique et simultanée.
La disposition dans
le muscle des différentes unités motrices et leur mode de fonctionnement aident
à comprendre le mécanisme de la contraction musculaire physiologique,
volontaire ou réflexe, qui diffère quelque peu en effet de la contraction
expérimentale. Tout d’abord, le nombre de fibres musculaires appartenant à une
unité motrice est variable selon la fonction du muscle; il est d’autant plus
réduit que les mouvements du muscle doivent être plus précis (13 fibres par
unité motrice pour les muscles extrinsèques de l’œil, 108 pour les muscles lombricaux
de la main, 750 pour le biceps brachial, 1 730 pour le jumeau interne). De
plus, à l’intérieur des muscles, les fibres musculaires sont groupées en
faisceaux de 20 à 60 fibres (faisceaux primitifs), qui appartiennent à des
unités motrices différentes et de telle sorte qu’il existe d’une part une
certaine dispersion des fibres d’une même unité motrice, d’autre part un
chevauchement de plusieurs unités motrices. Enfin, certaines fibres
musculaires, plus spécialement dans les muscles longs, reçoivent deux ou trois
filets nerveux qui aboutissent chacun à une plaque motrice et qui peuvent
provenir d’un même axone ou d’axones différents.
Si l’on met à part
l’éventualité de la contraction maximale, où toutes les unités motrices entrent
simultanément en action et qui ne peut de ce fait être longtemps maintenue, il
est démontré que la force de la contraction musculaire physiologique est
directement en rapport avec le nombre des unités motrices en activité et la
fréquence de contraction des fibres musculaires. Pour une contraction
musculaire légère ou moyenne, les unités motrices actives restent en quantité
réduite et sont dispersées dans tout le muscle; le rythme de contraction de
chacune d’elles est faible, de l’ordre de 10 à 20 par seconde, parfois même de
5 à 10 seulement, alors que le courant d’action du muscle entier a un rythme
beaucoup plus élevé, de 50 à 150 par seconde. Mais il n’y a pas de synchronisme
entre les différentes unités motrices en activité dans un même muscle, et c’est
précisément cette absence de synchronisation, alliée à l’élasticité
particulière du tissu musculaire, qui explique que les nombreuses secousses des
différentes unités motrices soient finalement fondues en une contraction
soutenue. Le mécanisme de la contraction musculaire volontaire ou réflexe
diffère donc de celui d’un tétanos physiologique.
Tout muscle qui se
contracte effectue un travail au sens physiologique du terme, car il libère
toujours de l’énergie, même s’il apparaît immobile. La force de contraction
musculaire, qui tend à rapprocher les deux extrémités du muscle, s’oppose à une
force extérieure de sens contraire. Trois éventualités peuvent dès lors se
présenter. La force musculaire et la force extérieure s’égalisent et il y a
contraction partie isométrique et partie isotonique: il s’agit de travail
statique ; la force musculaire l’emporte sur la force extérieure et il y a
raccourcissement du muscle: il s’agit de travail dynamique actif ou positif ;
la force musculaire est au contraire surmontée par la force extérieure: il
s’agit de travail dynamique résistant ou négatif .
Le travail
dynamique résistant n’existe que lorsque le muscle freine activement la force
extérieure. La dépense d’énergie consiste à soutenir la charge et à s’opposer à
l’accélération de la pesanteur. Elle est toujours inférieure à celle du travail
dynamique actif.
3.
Pathologie du muscle strié
Il y a trois
grandes catégories de maladies à symptomatologie musculaire: les affections
musculaires primitives, les affections de la jonction myoneurale, les affections
du neurome moteur.
Maladies
primitives
Ces maladies
relèvent uniquement d’altérations propres à la fibre musculaire striée, aussi
les qualifie-t-on de "primitives", bien que leur cause demeure
souvent inconnue. On en décrit deux groupes: les myopathies et les myosites.
Les
myopathies
À vrai dire, le
terme de myopathie prête quelque peu à équivoque. Pour les auteurs
anglo-saxons, il est généralement pris dans son sens étymologique, c’est-à-dire
qu’il recouvre toute la pathologie des muscles quelle qu’en soit l’étiologie.
Les auteurs français, au contraire, lui donnent habituellement une
signification trop restrictive, réservée aux seules affections qui se
traduisent par une dégénérescence progressive des fibres musculaires, en dehors
de toute atteinte nerveuse et de tout processus inflammatoire ou toxique.
Pratiquement, on désigne ces affections dégénératives sous le nom de
dystrophies musculaires progressives (D.M.P.) et on étend le terme de
myopathies à des maladies d’expression différente mais voisines, les myotonies
et les paralysies périodiques familiales. Ce sont des anomalies d’origine
génétique [cf. MALADIES MOLÉCULAIRES].
Les
dystrophies musculaires progressives
Le groupe des
D.M.P. comprend un certain nombre d’affections caractérisées par une
dégénérescence lente, progressive, inéluctable des fibres musculaires, qu’on
découvre habituellement chez l’enfant, parfois dès le premier âge, ou chez
l’adulte jeune.
Le signe initial
qui attire l’attention est la diminution de la force musculaire, localisée aux
muscles des racines des membres et des ceintures scapulaire et pelvienne. C’est
une diminution de force isolée, qui ne s’accompagne d’aucun trouble sensitif,
d’aucune douleur, en particulier d’aucune contracture du type
"crampe". Sa prédominance aux ceintures donne au sujet une attitude
particulière dans les gestes courants: démarche dandinante, difficultés de
passer de la position couchée à la position assise puis à la station debout, le
malade devant pour se relever se mettre à quatre pattes, s’aider de ses membres
supérieurs et "se hisser le long de lui-même" en un mouvement tout à
fait caractéristique.
L’examen clinique
met en évidence des modifications de volume des muscles, spécialement de ceux
qui accusent un déficit: il s’agit habituellement d’atrophie, mais parfois
d’une augmentation de volume intéressant certains muscles – ceux des mollets,
des cuisses, des épaules –, qui est en réalité une pseudohypertrophie due à
l’infiltration de la masse musculaire par du tissu fibreux ou de la graisse.
L’exploration
neurologique confirme le caractère primitif et isolé de l’atteinte musculaire:
les réflexes ostéotendineux ne sont pas modifiés, la sensibilité superficielle
et profonde est conservée; par contre, on constate souvent de façon précoce la
disparition du réflexe idiomusculaire, c’est-à-dire la contraction localisée
des faisceaux musculaires observée normalement à la percussion directe et vice
du corps musculaire.
Devant un tel
tableau clinique, il faut toujours recourir aux examens complémentaires qui
permettent d’affirmer le diagnostic de myopathie. Ceux-ci comprennent:
– la radiographie ,
qui confirme l’amyotrophie et révèle l’aspect grêle des muscles;
–
l’électrodiagnostic et spécialement l’électromyographie , qui permet d’éliminer
une affection dite neurogène par atteinte du système nerveux périphérique: la
contraction volontaire fait apparaître une activité anormalement dense et de
faible amplitude, qui correspond à la mobilisation du nombre maximal d’unités
motrices pour un effort modéré, de façon à pallier l’insuffisance des fibres
musculaires altérées; la stimulation électrique par le nerf moteur donne des
réponses polyphasiques et déchiquetées en "dents de scie", tout à
fait caractéristiques des affections myogènes et qui traduisent la sommation
défectueuse des phénomènes électriques élémentaires par atteinte inégale et
dispersée des fibres musculaires;
– l’analyse
biologique , qui met en évidence l’augmentation parfois considérable dans le
sang de certaines enzymes musculaires témoignant d’une perméabilité anormale
des fibres musculaires à ces enzymes (spécialement aldolase et
créatine-kinase);
– l’étude
microscopique d’un fragment de muscle prélevé par biopsie, laquelle montre
notamment l’aspect dégénératif de certaines fibres musculaires et
l’infiltration du muscle par le tissu fibreux et la graisse, mais par contre
l’absence de réaction inflammatoire.
Les dystrophies
musculaires progressives forment un groupe nombreux d’affections plus ou moins
graves, qui ont fait l’objet d’importantes recherches cliniques et
anatomo-pathologiques depuis le milieu du XXe siècle. Les différents types
suivants sont aujourd’hui bien individualisés.
La myopathie de
Duchenne de Boulogne , la plus anciennement décrite, représente la forme la
plus fréquente et sans doute la plus grave, du moins en Europe, puisqu’elle
affecte un nouveau-né masculin sur 6 000, soit environ un enfant sur 12 000
naissances. C’est une maladie héréditaire transmise sur le mode récessif lié au
sexe, c’est-à-dire que la tare atteint les enfants masculins par
l’intermédiaire des femmes apparemment saines. Elle frappe donc presque
exclusivement les garçons. Elle débute dès les premières années de la vie; les
troubles musculaires prédominent à la ceinture pelvienne, aux cuisses, aux
jambes, et, le plus souvent, c’est le retard de la marche qui attire
l’attention de l’entourage. L’évolution est rapide. L’amyotrophie progressive
fait de l’enfant un grabataire dès l’âge de dix à quinze ans. La mort survient
vers vingt ans par complications respiratoires ou insuffisance cardiaque, car
l’atteinte du muscle cardiaque est loin d’être rare dans cette maladie.
Une forme moins
sévère, transmise selon le même mode, a été individualisée sous le nom de
dystrophie musculaire de Becker ; elle diffère de la maladie de Duchenne en ce
qu’elle se manifeste habituellement après dix ans et est moins évolutive, la
survie dépassant la troisième décennie. Elle se caractérise par les mêmes
symptômes et les mêmes déficits musculaires, mais elle est moins invalidante et
ne donne pas de complication cardiaque.
La myopathie
facio-scapulo-humérale , ou maladie de Landouzy-Déjérine, est aussi une maladie
héréditaire, mais qui se transmet selon le mode autosomal dominant,
c’est-à-dire d’un sujet à un autre sans sauter de génération. Elle frappe
indifféremment les deux sexes. Elle débute plus tardivement que la précédente,
à l’âge scolaire ou lors de l’adolescence, voire à l’âge adulte. Son évolution
est lente, entrecoupée de phases de stabilisation plus ou moins longues, permettant
ainsi au sujet une activité professionnelle quasi normale. L’atteinte
musculaire suit toujours sensiblement le même ordre, qui lui a valu sa
dénomination: elle débute par la face au niveau des muscles des paupières, le
premier signe apparent étant souvent l’inocclusion des yeux dans le sommeil,
puis au niveau des muscles péribuccaux. Elle frappe ensuite les muscles de la
ceinture scapulaire, puis ceux du tronc, donnant des déformations
caractéristiques du thorax, rarement ou très tardivement les muscles du bassin.
La durée de la vie n’est pas sensiblement raccourcie dans cette maladie et les
sujets gardent une certaine activité jusqu’à un âge avancé.
La dystrophie
musculaire des ceintures se transmet selon le mode autosomal récessif et touche
les deux sexes. Elle se manifeste assez tardivement au cours de la deuxième
décennie de la vie, voire de la troisième, et en premier lieu par l’atteinte
des muscles de la ceinture scapulaire, plus rarement par celle de la ceinture
pelvienne, pour s’étendre ensuite à d’autres régions; son évolution est
variable, relativement bénigne ou sévère.
Une forme
particulièrement grave de dystrophie musculaire des ceintures a été récemment
individualisée en Tunisie et semble affecter les populations du Maghreb; elle
touche les deux sexes et débute entre sept et neuf ans; son évolution est
sévère et rapide, rappelant beaucoup celle de la myopathie de Duchenne, et
l’extension progressive du déficit musculaire rend la marche impossible après
onze ans dans les trois quarts des cas; le sujet devient rapidement grabataire.
La dystrophie
musculaire distale se transmet suivant le mode autosomal dominant; elle est
habituellement bénigne, survenant à l’âge adulte, après vingt ans, en moyenne
vers quarante ans; elle touche électivement les petits muscles des mains et des
pieds, éventuellement des jambes.
La myopathie
oculaire affecte les muscles extrinsèques de l’œil et débute par un ptosis des
paupières ou une diplopie pour aboutir progressivement à la paralysie
bilatérale de la musculature oculaire. Le déficit peut également s’étendre aux
muscles de la face et du cou, parfois du tronc et des membres. La maladie, à
transmission autosomale dominante, survient chez l’adulte jeune, mais peut se
manifester plus rarement dès l’enfance.
Les myopathies
congénitales forment un groupe hétérogène d’affections relativement rares, dont
le caractère commun est le déficit moteur avec hypotonie constaté dès la
naissance ou dans les premiers mois de la vie. Elles touchent indifféremment
les deux sexes et se transmettent suivant le mode autosomal dominant ou
récessif selon les formes. Elles sont peu évolutives et, dans la plupart des
cas, compatibles avec une longue survie. Le taux sanguin des enzymes
musculaires est généralement normal; c’est l’étude anatomopathologique avec
traitement histoenzymologique des prélèvements biopsiques qui permet le
diagnostic et la distinction des différents types définis d’après une anomalie
particulière de structure de la fibre musculaire: myopathie à axe central (ou
central core disease ), myopathie à bâtonnet (ou nemaline myopathy ), myopathie
centro-nucléaire (ou myopathie à myotubules), myopathies mitochondriales,
myopathie par atrophie des fibres I, et plusieurs autres formes plus
exceptionnelles.
Les
myotonies
On désigne sous le
nom de myotonies des maladies héréditaires assez différentes, qui ont pour
trait commun de se traduire par un trouble fonctionnel très particulier de la
fibre musculaire qu’on remarque généralement au niveau des muscles de la main.
Le phénomène myotonique est un mouvement prolongé sur plusieurs secondes de la
contraction musculaire volontaire, sans aucune sensation douloureuse: le sujet
qui serre un objet ne peut le lâcher instantanément et n’ouvre sa main que
progressivement et très lentement. Ce phénomène myotonique peut être provoqué
en dehors de tout mouvement volontaire, par percussion des muscles du pouce,
par exemple, ou par stimulation électrique. Il donne à l’électromyographie une
activité spécifique qui suffit à faire le diagnostic: c’est l’averse myotonique
caractérisée par une succession de potentiels d’action brefs, de faible
amplitude, identiques, qui se manifestent en décroissant pendant plusieurs
secondes.
La myotonie
dystrophique de Steinert se rapproche des maladies précédentes et le phénomène
myotonique peut demeurer au second plan de la symptomatologie. C’est en effet
une dystrophie musculaire héréditaire relativement fréquente, qui survient
généralement après vingt ans et se transmet sur le mode autosomal dominant.
Outre les symptômes de la myotonie, elle se traduit par une diminution de la
force musculaire avec amyotrophie au niveau des membres inférieurs et
supérieurs, qui atteint aussi les muscles de la face, des paupières, ainsi que
les muscles péribuccaux. Elle s’accompagne généralement d’autres manifestations
pathologiques: troubles endocriniens cortico-surrénaux, sexuels, troubles du
rythme cardiaque, cataracte, etc. Le pronostic est médiocre et la plupart des
malades ne dépassent guère la cinquantaine.
La myotonie
congénitale , ou maladie de Thomsen, diffère notablement des dystrophies
musculaires: elle n’en a pas le caractère évolutif progressif et elle ne
comporte pas d’amyotrophie. C’est une maladie familiale rare, caractérisée
essentiellement par la myotonie, qui est diffuse et intéresse généralement
l’ensemble de la musculature. Tous les mouvements sont difficiles, en
particulier au moment du démarrage: la marche, par exemple, lente et raide au
départ, ne devient que progressivement normale. Le phénomène myotonique est aggravé
par le froid et par l’émotion. Le reste de l’examen clinique est généralement
négatif; les muscles peuvent apparaître hypertrophiés, donnant au sujet une
allure athlétique, mais ce caractère est loin d’être constant. L’affection
survient dès le plus jeune âge et constitue une infirmité pénible, mais qui n’a
pas la gravité des myopathies et n’affecte pas le pronostic vital.
Les
paralysies périodiques familiales
On désigne ainsi
plusieurs types d’affections familiales héréditaires transmises sur le mode dominant
autosomique (mais avec une proportion sensiblement plus élevée dans le sexe
masculin) et qui se caractérisent cliniquement par des accès intermittents de
paralysies musculaires étendues et biologiquement par des variations de la
kaliémie, c’est-à-dire du taux du potassium dans le sang.
Les crises sont
habituellement déclenchées par le repos qui suit un exercice musculaire et
elles surviennent souvent au cours du sommeil nocturne. Elles consistent en une
paralysie symétrique qui s’installe progressivement en une à douze heures,
débute aux membres inférieurs et gagne les muscles du tronc puis les membres
supérieurs, immobilisant totalement le sujet; elles respectent les muscles
céphaliques et en général, mais pas toujours, les muscles respiratoires. Il
s’agit d’une paralysie musculaire flasque, isolée, sans douleur, sans trouble
de la sensibilité ni de la conscience. La durée habituelle des crises est très
variable (entre deux et soixante-douze heures) et les périodes intercritiques,
qui ne sont marquées par aucun incident clinique, peuvent s’étendre d’une
semaine à plusieurs mois.
L’électromyographie
est normale en dehors des crises. Pendant les crises, elle met en évidence, au
cours des efforts de contraction maximale, une diminution du nombre des potentiels
d’action musculaire, de leur amplitude et de leur durée, ce qui traduit une
perte fonctionnelle d’unités motrices entières et de fibres musculaires isolées
au sein des unités encore actives.
La notion la plus
importante acquise au cours des quarante dernières années est d’ordre
métabolique. La découverte des modifications du taux du potassium sanguin au
cours de la plupart des crises a en effet permis de décrire trois types de
maladies:
– le type
hypokaliémique , ou paralysie périodique familiale classique , dont les
premiers accès se manifestent entre dix et vingt ans et qui s’accompagne au
cours des crises d’une diminution du potassium sanguin avec augmentation du
potassium musculaire;
– le type hyperkaliémique
, ou adynamie épisodique héréditaire , qui survient plus tôt, avant dix ans, et
se traduit par des crises fréquentes durant lesquelles le potassium sanguin
s’élève;
– le type
normokaliémique , appelé encore paralysie périodique sensible au sodium , qui
est très rare.
L’évolution de ces
différentes maladies est toujours favorable, sauf dans les cas peu fréquents où
les crises touchent les muscles respiratoires. Les accès s’espacent,
s’atténuent avec l’âge et finissent par disparaître après l’âge de trente ans.
Le traitement des accès, qui sont pour le moins pénibles et gênants, diffère
nécessairement selon le type métabolique de l’affection: ce sera
l’administration de sels de potassium dans le premier cas, de gluconate de
calcium dans le deuxième, de chlorure de sodium dans le dernier.
Aux paralysies
périodiques familiales on ajoute habituellement la myoglobinurie idiopathique
paroxystique , qui forme un groupe assez hétérogène caractérisé par des crises
de paralysie avec myoglobinurie (la myoglobine est une hémoglobine musculaire)
survenant spontanément ou après un exercice fatigant. Les muscles atteints,
généralement ceux du mollet et de la cuisse, sont tuméfiés et douloureux et les
urines se colorent en rouge foncé ou en marron par suite de l’excrétion de
myoglobine. La myoglobinurie peut provoquer une nécrose des tubuli rénaux et
déclencher une insuffisance rénale grave. Le traitement est symptomatique et
consiste en repos absolu au lit et réhydratation.
Les
myosites
Les myosites sont,
par définition, des maladies inflammatoires des muscles. Elles forment un
groupe très hétérogène d’affections difficiles à classer, en raison de leur
évolution qui peut être aiguë ou chronique, et leurs manifestations qui sont
localisées ou générales et surtout de leur origine. Les unes peuvent en effet
être rapportées à un agent pathogène connu – viral, microbien ou parasitaire –,
et les autres ont une étiologie encore indéterminée. Ce sont ces dernières que
l’on range habituellement dans les maladies primitives du muscle: elles forment
le groupe des polymyosites et dermatomyosites .
Ces affections,
relativement fréquentes, relèveraient, d’après les travaux les plus récents,
d’un mécanisme immunologique. Elles surviennent à tout âge, surtout entre dix
et soixante ans, davantage dans le sexe féminin, et leur évolution est souvent
grave pour les malades les plus âgés et dans les formes aiguës, bien que leur
pronostic ait été transformé par l’usage des antibiotiques associés à la
corticothérapie.
Le tableau clinique
est très polymorphe du fait de la diversité des manifestations aiguës,
subaiguës et chroniques, entre lesquelles on observe tous les intermédiaires.
Il comprend simultanément ou isolément, selon les cas, une atteinte musculaire,
une éruption cutanée, des symptômes généraux.
L’atteinte
musculaire va de la simple diminution de force à l’immobilisation totale,
l’impotence fonctionnelle touchant essentiellement les muscles des racines des
membres et ceux du tronc. Les douleurs musculaires sont inconstantes, plus
fréquentes et plus intenses dans les formes aiguës. L’amyotrophie est souvent
discrète et n’atteint jamais, en tout cas, le degré observé dans les
dystrophies progressives.
L’atteinte cutanée
des dermatomyosites varie également selon la forme évolutive. Elle se présente
sous l’aspect d’un érythème rouge violacé, qui touche électivement le visage
(notamment la peau des joues et des régions périorbitaires) et les régions
découvertes des membres, rarement le tronc. Elle s’accompagne souvent d’un
œdème modéré des téguments.
Les signes généraux
ne se voient que dans les formes aiguës et se manifestent par de la fièvre plus
ou moins élevée, des sueurs; la tachycardie peut traduire une atteinte du
myocarde.
Devant un tableau
clinique si différent d’un sujet à l’autre, il est toujours nécessaire de
demander des examens complémentaires: l’électromyographie, qui met en évidence
une activité anormalement riche avec des potentiels d’action polyphasiques et
déchiquetés, et surtout l’étude histologique d’un fragment de muscle, qui
montre à des stades divers des lésions dégénératives des fibres musculaires,
une réaction inflammatoire diffuse et une prolifération du tissu conjonctif
interstitiel.
Trouble
de la transmission neuromusculaire: la myasthénie
La myasthénie, décrite
à la fin du siècle dernier sous le nom de myasthenia gravis pseudoparalytica
(Erb, 1879; Goldflam, 1891), est caractérisée par une altération de la jonction
neuromusculaire avec modifications morphologiques de la plaque motrice, absence
de lésion spécifique du système nerveux et du muscle, sans qu’on puisse encore
préciser de façon exacte la nature même du trouble fonctionnel.
La maladie
s’observe à tous les âges et débute habituellement entre les deuxième et
quatrième décennies, mais elle n’est pas exceptionnelle chez l’enfant et peut
survenir dans les premiers mois de la vie, souvent sous une forme atténuée.
Elle atteint plus fréquemment le sexe féminin. Elle frappe électivement
certains muscles striés: en premier lieu, les muscles périoculaires et surtout
les oculo-moteurs et le releveur de la paupière supérieure, dont la chute
constitue le "ptosis", signe très fréquent dans la myasthénie; les
muscles masticateurs, les muscles de la langue et du pharynx et les muscles
cervicaux. Les muscles des membres et du tronc sont moins souvent atteints.
Le déficit consiste
en une fatigabilité anormale progressive et précoce des muscles, qui survient à
la suite de contractions répétées. Il n’y a habituellement ni amyotrophie ni
troubles sensitifs.
Le diagnostic s’appuie
sur l’électromyographie: la stimulation tétanisante appliquée sur un nerf au
rythme de 30 stimulus par seconde provoque dans les muscles dépendants une
réaction d’épuisement, qui se traduit par une diminution progressive et rapide
de l’amplitude des potentiels d’action. Cette réaction d’épuisement disparaît
après administration d’une substance anticholinestérasique (la prostigmine),
dont l’emploi constitue à la fois un test pharmacologique de diagnostic et un
traitement.
La myasthénie
évolue par poussées de rythme variable et son pronostic est toujours sévère.
Elle peut se présenter sous des aspects divers; il existe des formes oculaire
pures, des formes d’emblée respiratoires, des formes dites "spinales"
révélées par de brusques dérobements des jambes.
La cause de la
maladie est encore discutée. On a invoqué à son origine divers facteurs: un
facteur sérique curarisant qui paralyserait la transmission neuromusculaire de
l’influx nerveux, une tumeur ou une hyperplasie du thymus qui coexisterait dans
20 à 40 p. 100 des cas, des dérèglements endocriniens divers, notamment de la
glande thyroïde.
Altérations
d’origine neurologique
De très nombreuses
affections du système nerveux central et périphérique sont susceptibles de
provoquer des altérations musculaires, dont les premiers signes se manifestent
par une diminution de force et une atrophie. Cette amyotrophie dite neurogène,
par opposition à l’atrophie "myogène" des maladies primitives du
muscle strié, se présente sous des aspects anatomiques et cliniques suffisamment
spécifiques pour en permettre le diagnostic différentiel.
Dans la plupart des
cas, la dénervation musculaire est incomplète. L’atrophie se caractérise alors
sur le plan histologique par une disposition des lésions en "îlots"
noyés au sein d’un tissu musculaire par ailleurs normal. Ces îlots représentent
des groupements de fibres musculaires altérées, appartenant à une même unité
motrice dont l’élément nerveux est atteint, et qui côtoient les groupes de
fibres saines des unités motrices indemnes. Plus tard, les fibres lésées
s’atrophient puis disparaissent, faisant place à du tissu fibreux ou graisseux.
Sur le plan
clinique, l’atrophie neurogène a une distribution distale et ce sont surtout
les muscles des extrémités des membres qui apparaissent touchés. Elle
s’accompagne souvent de crampes douloureuses et l’on observe fréquemment à la
surface des muscles altérés des fasciculations caractéristiques représentées
par des contractions brèves, involontaires, intermittentes de faisceaux
musculaires, et qui sont plus ou moins abondantes, nettement favorisées par la
fatigue et le froid. Le réflexe idiomusculaire est conservé.
L’exploration
électrologique est toujours nécessaire pour faire le bilan des altérations,
pour en préciser la nature et en suivre l’évolution. Lorsque le muscle est
totalement dénervé, l’examen électrique révèle une réaction de ralentissement
global caractérisée par l’inexcitabilité complète du nerf moteur et, à la
stimulation directe du muscle, par une inexcitabilité au courant faradique et
une contraction très lente au courant galvanique. Quand la dénervation est
incomplète, on observe une réaction de ralentissement partiel, c’est-à-dire une
diminution de l’excitabilité du nerf moteur avec une hypoexcitabilité du muscle
aux courants brefs et une contraction lente au courant galvanique.
L’électromyographie
donne également des renseignements tout à fait typiques. Elle permet d’affirmer
le processus neurogène des altérations sur l’existence dans le muscle au repos
de potentiels de fibrillation très brefs et peu voltés, qui traduisent
l’activité spontanée des fibres musculaires privées du contrôle nerveux.
La lésion nerveuse
responsable des altérations musculaires peut siéger en des points divers du
neurone moteur, conférant ainsi à l’amyotrophie des aspects particuliers.
Les amyotrophies
médullaires , consécutives à l’atteinte des cornes antérieures de la moelle,
sont habituellement bilatérales sans être nécessairement symétriques. Elles
prédominent aux extrémités des membres et donnent lieu avec une particulière
fréquence à des fasciculations. Les réflexes tendineux peuvent être abolis ou
conservés, voire exagérés, et cette dernière éventualité est en faveur d’une
altération associée des voies pyramidales. Elles ne s’accompagnent pas en général
de troubles de la sensibilité.
Les amyotrophies
liées à une atteinte des fibres nerveuses résultent de lésions siégeant soit au
niveau de la racine nerveuse soit sur le trajet du nerf périphérique. Elles se
traduisent par des troubles limités à un territoire précis radiculaire ou
tronculaire et peuvent s’accompagner de signes sensitifs témoignant d’une
atteinte simultanée des filets nerveux sensitifs.
Il existe enfin des
altérations nerveuses périphériques, qui ne correspondent pas à la souffrance
isolée d’un tronc nerveux, mais qui intéressent l’ensemble du système nerveux
périphérique assimilé à un "organe". Elles se manifestent donc
simultanément dans un grand nombre de racines nerveuses ou de nerfs, parfois
même dans leur totalité. Ces maladies forment le groupe des névrites et
polynévrites , qui se traduisent par une amyotrophie à prédominance distale,
des troubles sensitifs également distaux, et s’accompagnent fréquemment de
désordres trophiques et vasomoteurs. Leur cause peut être inflammatoire, infectieuse,
toxique ou allergique.