Les
Fonctions
Anneaux
et algèbres de fonctions
Les fonctions
réelles d’une variable réelle définies dans un intervalle [a , b ] de la droite
réelle constituent une algèbre en convenant que la somme et le produit de deux
fonctions ou le produit d’une fonction par un nombre réel l sont les fonctions
dont les valeurs en chaque point sont respectivement la somme et le produit des
valeurs en ce point ou le produit par l de la valeur de la fonction en ce
point. Si on analyse les propriétés qui ont permis de munir l’ensemble précédent
d’une structure d’algèbre, on constate que, de manière générale, on peut munir
d’une structure d’anneau ou d’algèbre l’ensemble des applications d’un ensemble
quelconque E dans un anneau ou une algèbre respectivement, les valeurs en un
point x de E des fonctions somme, produit et éventuellement produit par un
scalaire étant données par:
Le procédé
précédent permet, bien entendu, de définir des structures d’anneaux ou
d’algèbres sur de nombreux ensembles de fonctions contenus dans l’ensemble,
considéré ci-dessus, de toutes les fonctions définies dans un ensemble et à
valeurs dans un anneau ou une algèbre. Ainsi, les fonctions continues ou
différentiables à valeurs réelles définies dans un ouvert du plan constituent
des algèbres sur le corps des nombres réels. Il est clair qu’il est possible de
multiplier à volonté les exemples de ce type.
Lorsqu’on
s’intéresse à l’étude locale des fonctions au voisinage d’un point, on est
conduit à introduire des anneaux et algèbres d’un type différent du précédent.
Nous prendrons pour exemple l’algèbre des germes de fonctions analytiques à
l’origine O du plan complexe. Considérons les couples (U, f ) d’un voisinage
ouvert de O dans le plan complexe et d’une fonction f définie et analytique
dans U. Nous dirons que deux tels couples (U, f ) et (V, g ) définissent le
même germe à l’origine si f et g coïncident sur un voisinage ouvert W de O
contenu dans U ß V; il est clair que cette relation est une relation
d’équivalence; par définition, le germe d’une fonction analytique définie dans
un voisinage de O est sa classe d’équivalence pour cette relation. Montrons que
cet ensemble des germes peut être muni d’une structure d’algèbre sur le corps
des nombres réels ou des nombres complexes. Soient A et B deux germes et l un
nombre réel ou complexe. Si (U, f ) et (V, g ) définissent les germes A et B
respectivement, nous appellerons germe somme, germe produit et germe produit
par le scalaire l, noté A + B, AB et lA respectivement, les germes à l’origine
des couples (U ß V, f 1 + g 1), (U ß V, f 1g 1), et (U ß V, lf 1), où f 1 et g
1 désignent les restrictions au voisinage U ß V des fonctions f et g ; on
vérifie alors facilement que les germes A + B, AB et lA sont indépendants des
représentants (U, f ) et (V, g ) choisis et que l’ensemble des germes est ainsi
muni d’une structure d’algèbre. De manière générale, les anneaux de germes de
fonctions différentiables ou analytiques jouent un rôle absolument essentiel
dans la théorie des variétés différentiables ou analytiques.
Anneaux
de séries
A étant un anneau
commutatif, on peut définir de manière purement formelle et algébrique des
séries à coefficients dans A; dans le cas où A est le corps des nombres
complexes ou des nombres réels, nous ferons jouer un rôle particulier à celles
de ces séries, dites convergentes, qui possèdent un rayon de convergence non
nul.
On appelle série
formelle (à une variable) à coefficients dans un anneau commutatif A une suite
infinie d’éléments de A: (a 0, a 1, ..., a n ,...); une telle série formelle
est souvent notée:
notation qu’il faut
considérer pour l’instant comme un pur symbole. Définissons la somme et le
produit de deux telles séries formelles; on pose, par définition,
où c p est la somme
finie:
Il est facile
maintenant de vérifier, en utilisant les règles du calcul algébrique dans les
anneaux (cf. chap. 3), que l’ensemble A [[X]] de ces séries formelles est muni
d’une structure d’anneau; si A = K est un corps, cet anneau est une algèbre
quand on définit la multiplication scalaire par la formule:
Par récurrence, on
peut définir l’anneau des séries formelles à n variables à coefficients dans A;
par définition, cet anneau, noté A [[X1, ..., Xn ]], est égal à l’anneau des
séries formelles (à une variable) à coefficients dans l’anneau A [[X1, ...,
Xn-1 ]] des séries formelles à (n _ 1) variables. Toute série formelle à n
variables est définie par la donnée, pour tout système de n entiers p 1, ..., p
n positifs ou nuls, d’un élément a p 1 ... p n de l’anneau A .
Limitons-nous
maintenant au cas où A est le corps des nombres réels ou des nombres complexes.
La série (*) est dite convergente si elle a un rayon de convergence non nul,
c’est-à-dire s’il existe un nombre réel strictement positif R tel que la
famille de nombres positifs:
soit sommable (cela
signifie qu’il existe un nombre M qui majore toute somme finie de tels
nombres). On montre que si deux séries sont convergentes, alors les séries
formelles somme et produit sont aussi des séries convergentes; ainsi les séries
convergentes à coefficients dans le corps des réels ou des nombres complexes
forment des anneaux, qui sont d’ailleurs aussi des algèbres sur R ou C, notés R
(X1, ..., Xn ) et C (X1, ..., Xn ) respectivement. L’étude de ces anneaux
constitue la partie locale de la théorie des fonctions analytiques de plusieurs
variables; ainsi, montrons, pour n = 1 par exemple, que l’anneau C (X) des
séries convergentes à coefficients complexes est isomorphe à l’anneau des
germes de fonctions analytiques à l’origine introduit ci-dessus. En effet,
toute fonction analytique dans un voisinage de l’origine est développable en
série entière convergente et deux telles fonctions définissent le même germe
si, et seulement si, elles sont somme d’une même série entière dans un
voisinage de l’origine; par ailleurs, la valeur, pour z complexe assez voisin
de 0, de la somme des séries "somme" et "produit" est égale
respectivement à la somme et au produit des sommes des séries considérées [cf.
FONCTIONS ANALYTIQUES].
Algèbres
de dimension finie
Soit A une algèbre
sur un corps K dont l’espace vectoriel sous-jacent soit de dimension finie n et
choisissons une base e 1, ..., e n de cet espace. On appelle table de
multiplication de A la donnée des produits:
(les n 3 éléments a
ijk de K ainsi définis sont appelés les constantes de structure de l’algèbre
A); connaissant la table, on peut calculer le produit de deux éléments
quelconques par bilinéarité. On représente souvent la table par un schéma à
double entrée. Par exemple, la table de multiplication du corps des nombres
complexes considéré comme une algèbre de dimension 2 sur le corps des nombres
réels est la suivante:
Réciproquement,
soit E un espace vectoriel muni d’une base e 1, ..., e n . Si on se donne, pour
tout couple i, j d’entiers compris entre 1 et n , des éléments de l’espace E,
notés e i e j , on peut prolonger cette loi par bilinéarité à l’espace E tout
entier. L’espace E est alors une algèbre associative admettant cette loi pour
multiplication si, et seulement si, on a (e i e j ) e k = e i (e j e k );
remarquons que l’algèbre ainsi construite est commutative si, et seulement si,
e i e j = e j e i . Ce qui précède montre l’utilité des tables pour définir des
algèbres. Nous allons donner un exemple célèbre de cette situation.
Soit K un corps
commutatif; désignons par e, i, j, k la base canonique de l’espace vectoriel K4
et choisissons deux éléments p et q de K. On appelle algèbre de quaternions sur
K l’algèbre obtenue en considérant sur K4 la table de multiplication notée H:
Un cas particulier
très important s’obtient en prenant pour K le corps des nombres réels et en
choisissant p = q = _ 1; on obtient ainsi les quaternions proprement dits,
introduits par Hamilton. Pour ces quaternions, on peut développer une théorie
analogue à celle des nombres complexes: si x = ae + bi + cj + dk est un tel
quaternion, on appelle conjugué de x le quaternion x = ae _ bi _ cj _ dk .
Tel que xx -1 = x
-1x = e . On traduit cette propriété en disant que les quaternions forment un
corps non commutatif ; cet exemple des quaternions constitue une situation très
privilégiée, car on peut montrer que c’est le seul corps non commutatif de
dimension finie sur le corps des nombres réels.
Où a, b, c, d sont
des nombres réels quelconques forment une algèbre et que l’application qui, au
quaternion ae + bi + cj + dk , fait correspondre la matrice ci-dessus est un
isomorphisme car les opérations usuelles sur les matrices correspondent ici aux
opérations correspondantes sur les quaternions; ainsi l’algèbre des quaternions
est isomorphe à une algèbre de matrices. La recherche d’algèbres de matrices
isomorphes à une algèbre donnée est le problème fondamental de la
représentation linéaire des algèbres; la situation précédente constitue
historiquement le premier exemple d’une telle représentation.
3. Propriétés
des anneaux et algèbres
Calcul
algébrique dans les anneaux
Les règles du
calcul algébrique usuel s’appliquent dans les anneaux moyennant quelques
précautions dans le cas non commutatif; par exemple, si x 1, ..., x m , y 1,
..., y n sont des éléments d’un anneau A, le produit (x 1 + ... + x m ) (y 1 +
... + y n ) est égal à la somme des mn produits x i y j . Mentionnons une
importante notation qui montre qu’on peut faire "opérer" l’anneau Z
des entiers relatifs sur un anneau A quelconque. Si n est un entier relatif et
x un élément de A, on désigne par nx la somme d’une suite de n termes égaux à x
si n O 0, l’élément 0 si n = 0 et l’opposé de la somme de n H = _ n termes
égaux à _ x si n S0; il est clair que cette notation possède les propriétés
habituelles:
L’exemple des
anneaux de Boole montre qu’il peut exister dans certains anneaux des entiers n
O 0 tels que n 1 = 0; on appelle caractéristique d’un tel anneau le plus petit
entier n O 0 pour lequel n 1 = 0 et on dit qu’un anneau est de caractéristique
nulle si n 1 R 0 pour tout n O 0. Ainsi tout anneau de Boole est de
caractéristique 2, alors que l’anneau des entiers relatifs est de
caractéristique nulle; de manière générale, tout anneau de caractéristique
nulle contient une infinité d’éléments (si n et m sont deux entiers relatifs
distincts les éléments n 1 et m 1 sont distincts car (n _ m ) 1 R 0) et par
suite tout anneau ne contenant qu’un nombre fini d’éléments est de
caractéristique non nulle. Pour terminer avec les notations, indiquons qu’on
désigne par x n , n entier O 0, le produit d’une suite de n termes égaux à x ;
il est clair que deux telles puissances de x vérifient:
Remarquons que, si
x et y sont deux éléments quelconques d’un anneau A, on a:
si x et y commutent:
xy = yx , alors on retrouve la formule classique:
Cette situation se
généralise aux identités remarquables, qui sont valables si les éléments qui y
figurent commutent. Par exemple, on a:
(formule du binôme)
si x et y commutent.
Puisque pour n premier
tous les coefficients C1n , C2n , Cn n-1 sont des entiers divisibles par n , il
résulte de la formule du binôme que si x et y sont deux éléments qui commutent
dans un anneau de caractéristique n premier, on a (x + y )n = x n + y n ;
d’autre part, sous les mêmes hypothèses, on a (xy )n = x n y n . Ainsi dans un
anneau commutatif de caractéristique n premier l’application x è x n est un
homomorphisme d’anneau.
Dans un anneau
quelconque, il n’est pas toujours possible de "simplifier par a " une
égalité du type ax = ay. Ainsi, dans un anneau de Boole unitaire, on a toujours
x 2 _ x = x (x _ 1) = 0 et, par suite, le produit de deux éléments non nuls
peut être nul; de même, dans l’anneau (de caractéristique nulle) des fonctions
à valeurs réelles définies sur l’ensemble réunion de deux ensembles X et Y sans
point commun, le produit de deux fonctions l’une nulle sur X et non nulle sur Y
et l’autre nulle sur Y et non nulle sur X est nul (cf. chap. 2). De manière
générale, on dit qu’un élément x R 0 d’un anneau A est un diviseur de zéro (à
gauche) s’il existe un élément y R 0 tel que xy = 0. Un cas particulier de
cette situation est constitué par les éléments non nuls dont une puissance est
nulle (ainsi, dans l’anneau des entiers modulo 4, cf. infra , le carré de la
classe du nombre 2 est la classe nulle); un tel élément non nul dont une
puissance est nulle est appelé un élément nilpotent. Les anneaux commutatifs
sans diviseurs de zéro sont dits intègres (on dit aussi qu’un tel anneau est un
anneau d’intégrité ); on peut alors "simplifier" par un élément a non
nul puisque ax = ay est équivalent à a (x _ y ) = 0, qui entraîne x _ y = 0.
Idéaux
Soient A et B deux
anneaux (ou deux algèbres) et f un homomorphisme d’anneau (ou d’algèbre) de A
dans B. L’ensemble N des éléments de A dont l’image par f est l’élément nul de
B est appelé le noyau de f ; c’est un sous-groupe additif (ou une sous-algèbre)
de A qui possède la propriété supplémentaire suivante: "Pour tout élément
x de A et tout élément y de N, les éléments xy et yx appartiennent encore à
N." De manière plus générale, on appelle idéal à gauche d’un anneau (ou
d’une algèbre) A tout sous-groupe additif (ou sous-algèbre) U tel que si x et y
sont des éléments quelconques de A et U respectivement, xy soit un élément de U.
On définirait de même les idéaux à droite caractérisés par le fait que yx
appartient à U pour y dans U et x dans A. Un ensemble qui, comme le noyau d’un
homomorphisme, est à la fois un idéal à droite et un idéal à gauche est appelé
un idéal bilatère ; bien entendu, si l’anneau A est commutatif, tous ces types
d’idéaux coïncident. Tout anneau contient au moins deux idéaux bilatères
particulièrement simples, l’idéal nul contenant seulement l’élément 0 et
l’idéal unité constitué par l’anneau tout entier; un idéal distinct de ces deux
idéaux est dit propre. On vérifie facilement que si un anneau est un corps, il
n’a pas d’idéaux propres. Donnons deux exemples simples d’idéaux propres: dans
l’anneau des entiers relatifs, les multiples d’un nombre n forment un idéal,
noté (n ) et appelé l’idéal principal engendré par n (cet idéal n’est pas nul
si n R 0 et est différent de Z si n R A 1) et on peut montrer que tout idéal
est de ce type [cf. ANNEAUX COMMUTATIFS]; de même, dans un anneau de fonctions,
l’ensemble des fonctions qui s’annulent en un point est un idéal.
Indiquons
maintenant un procédé souvent utilisé pour construire des idéaux; idéal
signifiera ici indifféremment idéal à gauche, à droite ou bilatère, sauf
précision complémentaire. On voit facilement que l’intersection d’une famille
quelconque d’idéaux, finie ou non, est encore un idéal. On en déduit que si M
est une partie quelconque de A, l’intersection des idéaux de A qui contiennent
M (il existe au moins un tel idéal, à savoir A tout entier) est un idéal U, qui
est le plus petit idéal contenant M; on dit alors que M est un système de
générateurs de U, ou encore que U est engendré par M. Par exemple, l’idéal à
gauche engendré par l’ensemble contenant un seul élément a est l’ensemble des
éléments de la forme xa lorsque x parcourt A, c’est-à-dire l’ensemble des
"multiples à gauche" de a ; de manière générale, l’idéal à gauche
engendré par une partie M de A, finie ou non, est identique à l’ensemble des
sommes finies x 1a 1 + ... + x n a n où (a i ) est une famille finie quelconque
d’éléments de M et les x i des éléments quelconques de A.
Un idéal U R A d’un
anneau A est dit maximal s’il n’est contenu dans aucun autre idéal propre de A.
Déterminons à titre d’exemple les idéaux maximaux de l’anneau Z des entiers
relatifs. Admettons ici [cf. ANNEAUX COMMUTATIFS] que tout idéal de Z est égal
à l’ensemble (n ) des multiples d’un élément n ; on voit que l’idéal (n )
contient l’idéal (m ) si et seulement si m lui-même est un multiple de n ;
ainsi l’idéal (p ) est maximal si et seulement s’il n’existe pas d’entier n R p
divisant p et tel que (n ) R A, c’est-à-dire n R A 1; ainsi, dans l’anneau Z,
les idéaux maximaux sont formés des multiples des nombres premiers. L’intérêt
de la notion d’idéal maximal résulte surtout du théorème suivant, dû à Krull,
et dont la démonstration utilise l’axiome du choix: "Dans un anneau, tout
idéal à gauche différent de l’anneau tout entier est contenu dans au moins un
idéal à gauche maximal." Nous renvoyons à l’article algèbres NORMÉES pour
voir un bel exemple de l’utilité de la notion d’idéal maximal.
L’exemple des
germes de fonctions, ou des anneaux de séries, nous montre l’importance des
anneaux possédant un unique idéal maximal, qui est alors maximum, c’est-à-dire
qui contient tous les idéaux de l’anneau distincts de l’anneau lui-même. Dans
le cas de l’anneau des germes de fonctions analytiques à l’origine, les germes
dont un représentant (U, f ) s’annule pour z = 0 (il en est alors de même de
tous les représentants d’un tel germe) forment manifestement un idéal. Cet
idéal contient tout idéal propre: en effet si g est une fonction analytique
dans un voisinage de l’origine qui ne s’annule pas pour z = 0, il existe un
voisinage U de O dans lequel g (z ) R 0 et, par suite, dans lequel h (z ) = 1/g
(z ) est analytique; ainsi le germe A, défini par g , a un inverse B dans
l’anneau (c’est le germe défini par h ); tout germe C est alors un multiple de
A car C = (CB)A et le seul idéal contenant A est donc l’anneau des germes tout
entier. On démontre également que tout anneau de séries possède un unique idéal
maximal. Les anneaux de ce type, qui peuvent aussi être caractérisés par le
fait que l’ensemble des éléments non inversibles est un idéal, sont appelés des
anneaux locaux .
Anneau
quotient
Les idéaux
bilatères d’un anneau (ou d’une algèbre) A jouent un rôle fondamental dans
l’étude des relations d’équivalence sur A compatibles avec sa structure
d’anneau (ou d’algèbre). De manière précise, toute relation d’équivalence telle
qu’on puisse munir l’ensemble quotient d’une structure d’anneau (ou d’algèbre)
pour laquelle l’application canonique (qui à un élément fait correspondre sa
classe) soit un homomorphisme s’obtient de la façon suivante: il existe un
idéal bilatère U tel que deux éléments x et y soient équivalents si et
seulement si leur différence x _ y appartient à l’idéal U. Si X et Y sont deux
classes, on définit leur somme, leur produit, et éventuellement leur produit
par un scalaire l, en choisissant des représentants x et y de X et Y; on vérifie
alors (et ici intervient le fait que U est un idéal) que les classes X + Y, XY
et lX des éléments x + y, xy, et, éventuellement lx sont indépendantes des
représentants x et y choisis et que l’ensemble quotient est un anneau (ou une
algèbre) noté A/U pour les opérations ainsi définies. A s’appelle l’anneau
quotient de A par l’idéal U. Il est clair que si A est commutatif, alors
l’anneau quotient par un idéal est encore commutatif. Avec ces notions, un
idéal U d’un anneau commutatif est maximal si et seulement si l’anneau quotient
A/U est un corps.
Anneau
des entiers relatifs modulo n
Nous allons
maintenant indiquer un exemple fondamental d’anneau quotient qui montrera que
le calcul des congruences dans l’anneau Z des entiers relatifs rentre dans la
théorie des anneaux.
Soit n un entier
positif et considérons la relation d’équivalence définie par l’idéal (n ) = n Z
des multiples de n ; deux entiers x et y sont équivalents pour cette relation
d’équivalence si, et seulement si, leur différence est un multiple de n ,
c’est-à-dire avec la terminologie classique en arithmétique, si x et y sont
congrus modulo n (cette relation est notée x ´ y , mod. n ); la classe d’un
entier x s’appelle la classe résiduelle de x modulo n. D’après les propriétés
du quotient d’un anneau commutatif unitaire par un idéal, l’ensemble Z/n Z des
classes résiduelles modulo n est un anneau commutatif unitaire; il en résulte
en particulier qu’on peut appliquer aux congruences les règles usuelles du
calcul algébrique.
Dans l’anneau Z/n
Z, les classes des nombres 0, 1, ..., n _ 1 sont distinctes car la différence
de deux tels nombres est inférieure à n en valeur absolue et par suite ne peut
être un multiple de n ; réciproquement, tout nombre entier est égal à un de ces
nombres à un multiple de n près. Cela montre que Z/n Z est un anneau fini
contenant exactement n éléments qui sont les classes 0, 1, ..., n _ 1 des
nombres 0, 1, ..., n _ 1. Le tableau ci-joint donne les tables d’addition et de
multiplication dans les anneaux Z/2Z, Z/3Z et Z/4Z. On y remarque que Z/2Z est
un anneau de Boole, car (0)2 = 0 et (1)2 = 1; réciproquement, on peut montrer
que tout anneau de Boole sans diviseur de zéro est isomorphe à l’anneau Z/2Z.
Dans l’anneau Z/4Z, l’élément 2 est nilpotent car son carré est nul. L’anneau
Z/3Z est un corps, car tout élément non nul a un inverse dans l’anneau.
Montrons plus généralement que l’anneau Z/p Z est un corps si, et seulement si,
p est un nombre premier. En effet, si p est un nombre entier positif non
premier, p est le produit de deux nombres entiers q 1 et q 2 positifs et
strictement inférieurs à p ; on a donc 0 = p = q 1q 2 et Z/p Z n’est pas un
corps car il contient des diviseurs de zéro. Réciproquement, si p est premier,
tout nombre q O 0 plus petit que p est premier avec p et par suite il existe
des entiers relatifs u et v tels que up + vq = 1 (théorème de Bezout); passant
aux classes d’équivalence, on a up + vq = vq = 1 et par suite q est inversible,
d’inverse v ; ainsi tout élément non nul de Z/(p ) est inversible et cet anneau
est un corps souvent noté Fp [cf. CORPS].
Au point de
rencontre de deux types de structures, structures algébriques et structures
topologiques, les algèbres normées jouent un rôle important dans de nombreux
domaines de l’analyse mathématique. Développée à partir de 1940 environ,
essentiellement par des mathématiciens soviétiques (I. M. Gelfand, M. A.
Naimark, D. A. Raikov, G. E. Šylov), la théorie des algèbres normées avait
primitivement pour objet de placer dans un cadre abstrait et général l’étude de
certaines algèbres normées particulières (en l’occurrence, les algèbres de
convolution de fonctions intégrables pour une mesure de Haar d’un groupe
localement compact) en isolant leurs propriétés les plus marquantes et les plus
caractéristiques.
On reconnaît là le
processus d’axiomatisation, qui a été si souvent utilisé en mathématiques et
qui est si riche de conséquences.
Historiquement
issue de l’analyse harmonique (dont l’un des principaux objets est précisément
l’étude de l’algèbre de convolution des fonctions intégrables sur un groupe),
la théorie des algèbres normées permit par la suite d’obtenir de nouveaux
résultats aussi bien en analyse harmonique que dans d’autres branches de
l’analyse (cf. analyse HARMONIQUE).
1.
La notion d’algèbre normée
Définition
Une algèbre normée
est un ensemble muni à la fois d’une structure d’espace vectoriel sur le corps
des nombres complexes, d’une structure d’anneau et d’une norme (cf. se reporter
à l’article espaces vectoriels NORMÉS, ainsi qu’à l’article ANNEAUX ET ALGÈBRES).
Plus précisément,
notons C le corps des nombres complexes. Un ensemble A est alors une algèbre
normée si les conditions suivantes sont réunies:
a ) On définit sur
A deux lois de composition interne, addition et multiplication, qui munissent A
d’une structure d’anneau;
b ) On définit une
loi de composition externe, multiplication par les scalaires complexes, qui,
jointe à la loi interne d’addition, munit A d’une structure d’espace vectoriel
sur C;
c ) Les structures
d’anneau et d’espace vectoriel sont compatibles en ce sens que, quels que
soient les éléments l de C et les éléments a et b de A, on a:
d ) On définit sur
A une norme, c’est-à-dire une application x è Êx Ê de A dans l’ensemble des
nombres réels positifs telle que, quels que soient les éléments l de C et les
éléments a, b et c de A, on ait:
si et seulement si
a = 0, élément neutre de l’addition dans A,
e ) La distance
déduite de la norme (la distance de deux éléments a et b étant, par définition,
Êa _ b Ê) munit A d’une structure d’espace complet (cf. espaces MÉTRIQUES,
chap. 3).
Pour cette raison,
les algèbres normées sont fréquemment appelées algèbres de Banach , par
analogie avec les espaces vectoriels normés complets, dits espaces de Banach.
Si la multiplication
interne est commutative, on parle d’algèbre normée commutative. Si la
multiplication interne possède une unité, on parle d’algèbre normée unitaire.
Exemples
Indiquons trois
types fondamentaux d’algèbres normées.
(1) Soit X un
espace topologique, et soit A l’ensemble des fonctions continues et bornées sur
X, muni des opérations usuelles et de la norme:
c’est une algèbre
normée commutative unitaire.
(2) Soit E un
espace de Banach et soit A = L(E) l’ensemble des applications linéaires
continues de E dans lui-même. L’addition et la multiplication par les scalaires
sont définies de manière usuelle; la multiplication interne est la composition
des opérateurs linéaires. Quant à la norme, elle est définie par:
c’est la norme
habituelle des opérateurs. A est ainsi muni d’une structure d’algèbre normée
unitaire (l’unité de A est l’opérateur IE, identité de E dans E), non
commutative si E est de dimension supérieure à 1.
(3) G est un groupe
localement compact et m est une mesure de Haar à gauche sur G (cf. analyse
HARMONIQUE, chap. 4). Rappelons que c’est une mesure telle que l’on ait, pour
toute fonction intégrable f et pour tout élément t de G,
la fonction t f ,
translatée de f à gauche par t étant définie par:
A est l’espace de
Banach L1(m) des fonctions m-intégrables, muni de sa norme:
la multiplication
interne est l’opération de convolution, notée "*", définie par:
formule ayant un
sens "m-presque-partout".
On a ainsi défini
une algèbre normée, commutative lorsque le groupe G est commutatif, unitaire lorsque
le groupe G est muni de la topologie discrète. Cet exemple, auquel il a été
fait allusion dans l’introduction, est à l’origine de toute la théorie.
2.
Les algèbres normées commutatives
Nous allons
examiner quelques propriétés fondamentales des algèbres normées en présentant
d’abord la théorie dans le cas des algèbres normées commutatives et unitaires.
Idéaux maximaux et
caractères
L’étude des idéaux
maximaux est sans doute l’outil le plus puissant pour obtenir des propriétés
des algèbres normées commutatives unitaires.
Indiquons
brièvement qu’un idéal d’une algèbre normée commutative A est une partie I de A
qui est un sous-espace vectoriel de A et qui, d’autre part, contient l’élément
ab dès que a est un élément de I et b un élément quelconque de A. Évidemment A
est un idéal (peu intéressant!) de A. Un idéal est dit maximal s’il n’est
contenu strictement dans aucun idéal autre que l’algèbre A elle-même.
On appelle
caractère de l’algèbre normée commutative unitaire A tout homomorphisme non
identiquement nul de A dans C: autrement dit, un caractère de A est une
fonction h définie sur A, à valeurs complexes, non identiquement nulle, telle
que, quels que soient l dans C, et a et b dans A, on ait:
Il est facile de
vérifier que le noyau d’un caractère, c’est-à-dire l’ensemble des éléments de A
où s’annule ce caractère, est un idéal maximal. En fait, caractères et idéaux
maximaux satisfont aux propriétés suivantes:
a ) Tout idéal
propre (c’est-à-dire distinct de A) est contenu dans au moins un idéal maximal;
b ) Tout idéal
maximal est fermé pour la topologie définie par la norme sur A;
c ) Tout idéal
maximal est le noyau d’un caractère bien déterminé, et tout caractère admet
pour noyau un idéal maximal: cela établit une correspondance biunivoque entre
les idéaux maximaux et les caractères.
Les deux dernières
propriétés entraînent le fait remarquable que, pour une algèbre normée
commutative unitaire, tout caractère (défini uniquement par des propriétés
algébriques) est automatiquement continu.
Spectre et transformation
de Gelfand
L’ensemble des
caractères de A est appelé spectre de A: nous noterons D(A) cet ensemble.
À tout élément a de
A on peut associer une fonction La , appelée transformée de Gelfand de a ,
définie sur D(A), à valeurs complexes: la valeur de La au point h de D(A) est
simplement la valeur prise par le caractère h au point a de A:
Il existe sur D(A)
une topologie d’espace compact et une seule pour laquelle les fonctions La sont
toutes continues; on considère toujours le spectre D(A) muni de cette topologie
(topologie de Gelfand).
La correspondance
entre caractères et idéaux maximaux de A se matérialise alors de la manière
suivante: l’idéal maximal associé au caractère h (le noyau de h) est l’ensemble
des éléments a de A dont les transformées de Gelfand s’annulent au point h de
D(A).
Reprenons l’exemple
(1) dans le cas où X est un espace compact; il est assez facile de voir que les
caractères de A sont définis par les points de X: au point x on associe le
caractère hx tel que, pour la fonction continue bornée f sur X, élément de A,
on ait hx (f ) = f (x ). On obtient ainsi tous les caractères, et cette
correspondance donne un homéomorphisme entre X et D(A) qui permet d’identifier
les éléments de A et leurs transformées de Gelfand.
Pour l’exemple (3),
dans le cas d’un groupe discret commutatif, le spectre de A s’identifie au
groupe compact dual, et la transformation de Gelfand correspond alors à la
transformation de Fourier (cf. analyse HARMONIQUE).
L’ensemble des
valeurs prises par la transformée de Gelfand La d’un élément a de l’algèbre
normée commutative unitaire A est appelé le spectre de a (bien distinguer entre
le spectre de l’algèbre et le spectre d’un élément de l’algèbre). Pour tout a ª
A, et tout h ª D(A), on a:
On appelle rayon
spectral de a le nombre Ê La Êd, borne supérieure des | La (h)|, pour h dans
D(A). L’application qui à tout élément a associe son rayon spectral est une
semi-norme (car elle peut s’annuler pour a R 0) inférieure ou égale à la norme
de A. On peut, à ce propos, énoncer le "théorème du rayon spectral"
suivant.
Théorème. Pour tout
élément a de A, on a:
Les
algèbres semi-simples
Si la
transformation de Gelfand est injective, c’est-à-dire si deux éléments
distincts a et b de A ont des transformées La et Lb distinctes, on dit que
l’algèbre normée considérée est semi-simple . Cela revient à dire que
l’intersection des idéaux maximaux ne contient que l’élément 0.
La transformation
de Gelfand permet alors d’interpréter toute algèbre normée commutative unitaire
semi-simple comme une sous-algèbre de l’algèbre des fonctions continues sur un
espace compact, qui est le spectre de l’algèbre donnée.
Les algèbres
semi-simples jouissent de diverses propriétés spéciales: par exemple, soit A et
B deux algèbres normées commutatives unitaires, B étant semi-simple; si h est
un homomorphisme algébrique de A dans B (c’est-à-dire une application telle
qu’on ait:
pour tout l dans C
et tout choix de a et b dans A), alors h est automatiquement continu. Comme cas
particulier, dans le cas où B est le corps C des nombres complexes, on retrouve
la continuité des caractères.
Le calcul
fonctionnel holomorphe
Soit A une algèbre
normée commutative unitaire et a un élément de A; appelons s(a ) le spectre de
a , ensemble des nombres complexes qui sont les valeurs prises par La ,
transformée de Gelfand de a .
Si f est une
fonction continue à valeurs complexes définie sur s(a ), on peut considérer la
fonction composée f ¯ La et se demander s’il existe un élément b dans l’algèbre
tel que f ¯ La soit la transformée de Gelfand de b .
Si l’algèbre A est
semi-simple, il est clair qu’il peut exister au maximum un seul élément b de
cette sorte. Si la fonction f est quelconque, il n’y a en général aucune raison
pour qu’il existe un tel b ; mais si A est l’algèbre des fonctions continues
sur un espace compact et si f est simplement supposée continue, ce sera le cas.
Supposons
maintenant que f soit définie par une série entière:
dont le rayon de
convergence soit supérieur au rayon spectral de a. Alors la série:
converge dans A
vers un élément b , noté f (a ), dont la transformée de Gelfand est précisément
Lb = f ¯ La . Cela résulte de propriétés élémentaires.
Moins simple est le
théorème suivant, qui généralise de beaucoup les considérations ci-dessus:
Soit A une algèbre
normée commutative unitaire semi-simple, a un élément de A et f une fonction
analytique définie sur un voisinage du spectre de a . Il existe un élément b de
A, et un seul, tel que Lb = f ¯ La .
Si 0 n’appartient
pas au spectre de a , ce qui signifie que a est inversible, et si f (z ) = 1/z
, alors b est l’inverse de a .
Un cas
historiquement important de ce cas particulier, dont la théorie des algèbres
normées permet de donner une démonstration simple et pénétrante, est le
résultat suivant:
Théorème de
Wiener-Levy. Soit une fonction f continue, par exemple de période 2p, et
admettant pour série de Fourier:
où la série:
est absolument
convergente. Alors, si f ne s’annule jamais, la fonction inverse 1/f possède
une série de Fourier.
Les algèbres
normées commutatives non unitaires
Il existe un
procédé standard pour associer à toute algèbre normée A une algèbre normée
unitaire A1, telle que A soit une sous-algèbre de A1. Ce procédé, assez
élémentaire, permet en principe de ramener l’étude de problèmes concernant A à
des problèmes qui portent sur A1. Cependant, dans bien des cas, cette approche
est insuffisante et il faut étudier directement les propriétés d’une algèbre
non unitaire.
L’outil fondamental
dans le cas commutatif unitaire, l’étude des idéaux maximaux, ne s’applique pas
directement au cas non unitaire: il faut introduire la notion d’idéal régulier.
Dans une algèbre A,
un idéal I définit une relation d’équivalence: a et b , éléments de A, sont équivalents
si a _ b appartient à I. L’ensemble des classes d’équivalence, le quotient A/I,
est muni d’une structure d’anneau (cf. ANNEAUX ET ALGÈBRES, chap. 3). On dit
qu’un idéal I de l’algèbre normée commutative A est régulier si l’anneau
quotient A/I est unitaire (remarquer que, si A est unitaire, tout idéal est
régulier).
Dans une algèbre
commutative unitaire, tout idéal propre est contenu dans un idéal maximal: il
n’en va pas toujours de même si l’algèbre n’est pas unitaire. Mais, si l’on se
borne à considérer les idéaux réguliers, on retrouve des propriétés analogues à
celles qui ont été données précédemment:
a ) Tout idéal
régulier propre est contenu dans un idéal maximal régulier;
b ) Tout idéal
maximal régulier est fermé;
c ) Tout idéal
maximal régulier est le noyau d’un caractère, et d’un seul, et tout caractère
admet pour noyau un idéal maximal régulier.
Cela définit une
bijection entre l’ensemble des caractères et l’ensemble des idéaux maximaux
réguliers et cela montre, d’autre part, que tout caractère est continu.
Comme pour les
algèbres commutatives unitaires, on peut définir ici le spectre et la
transformation de Gelfand: si D(A) est l’ensemble des idéaux maximaux réguliers
de l’algèbre A, on associe à tout élément a de A sa transformée de Gelfand La ,
fonction définie sur D(A) de la même manière que précédemment. On munit D(A)
d’une topologie d’espace localement compact, pour laquelle les transformées de
Gelfand La sont continues et tendent vers 0 à l’infini.
Cela étant, la
plupart des propriétés valables pour les algèbres normées commutatives
unitaires s’étendent au cas non unitaire sans modifications essentielles.
Citons, comme
exemple d’algèbres de ce type, l’algèbre des fonctions continues sur un espace
localement compact X qui tendent vers 0 à l’infini: ici le spectre s’identifie
à X, et les éléments de l’algèbre s’identifient à leurs transformées de
Gelfand. Un autre exemple est fourni par l’algèbre, pour l’opération de
convolution, des fonctions intégrables sur un groupe abélien localement compact
non discret, R par exemple.
3.
Les algèbres normées non commutatives
L’absence de la
commutativité de la multiplication interne modifie énormément, en la
compliquant notablement, la théorie des algèbres normées. Faute de pouvoir ne
serait-ce que l’esquisser, nous nous bornerons à indiquer deux classes
d’algèbres de ce type particulièrement importantes.
Les
algèbres d’opérateurs dans les espaces de Banach
Reprenons l’exemple
(2) du chapitre 1: E étant un espace de Banach, l’ensemble L(E) des applications
linéaires continues de E dans E est une algèbre normée unitaire, non
commutative si E est de dimension supérieure à 1. L’étude de cette algèbre est
l’un des buts de l’analyse fonctionnelle.
Il est possible, en
particulier, de généraliser dans ce cadre le calcul fonctionnel holomorphe.
Soit par exemple T un élément de L(E); on appellera spectre de T l’ensemble
s(T) des nombres complexes l tels que T _ lIE, où IE est l’opérateur identique,
ne soit pas inversible: cela correspond à la notion de spectre d’un élément
dans une algèbre normée commutative unitaire, défini comme ensemble des valeurs
prises par la transformée de Gelfand; si f est une fonction holomorphe d’une
variable complexe, définie au voisinage de s(T), on construit un autre élément
L(E), noté f (T), de telle sorte que l’on ait:
on exige de plus f
(T) = Tn si f est la fonction qui à z associe z n . À cela s’ajoutent certaines
propriétés de continuité. Cette construction se fait en utilisant la formule
intégrale de Cauchy (cf. FONCTIONS ANALYTIQUES Fonctions analytiques d’une
variable complexe, chap. 5); en fait, bien qu’elle ait été particulièrement
étudiée pour les algèbres d’opérateurs que nous considérons ici, elle est
possible dans le cas le plus général et correspond au calcul fonctionnel
holomorphe auquel nous avons fait allusion dans le cas des algèbres normées
commutatives unitaires (où l’hypothèse supplémentaire de semi-simplicité avait
pour seul but de rendre l’exposé plus concret).
Les
C*-algèbres
Parmi les algèbres
normées, on distingue celles dont les propriétés particulières permettent une
analyse spectrale plus poussée.
On appelle
C*-algèbre une algèbre de Banach A vérifiant les deux propriétés suivantes:
(I) elle est munie
d’une involution , c’est-à-dire d’une application a Xa * de A dans A telle que
l’on ait, quels que soient a et b dans A et l complexe:
l étant le nombre
complexe conjugué de l;
(II) la norme et
l’involution sont liées par la relation:
Donnons ici
quelques exemples de C*-algèbres:
(1) L’algèbre des
fonctions continues sur un espace compact;
(1H) l’algèbre des
fonctions continues nulles à l’infini sur un espace localement compact (dans
les deux cas l’involution est l’opérateur de conjugaison).
(2) L’algèbre L(H)
des opérateurs bornés sur un espace de Hilbert H (l’involution étant
l’opérateur d’adjonction relatif au produit scalaire de H);
(2H) toute
sous-algèbre fermée de L(H) stable par passage à l’adjoint;
(2J) en
particulier, l’algèbre LC(H) des opérateurs compacts de H, c’est-à-dire des
opérateurs qui sont limite en norme d’opérateurs de rang fini.
(3) La C*-algèbre
d’un groupe localement compact G: sur l’algèbre de convolution L1(m) (cf.
ci-dessus l’exemple 3 du chapitre 1er) on construit une involution en associant
à la fonction intégrable f la fonction f * définie par: f *(t )=D(t -1) f (t
-1), où D est la fonction modulaire du groupe; on n’obtient pas ainsi une
C*-algèbre (la propriété (II) de la définition n’est pas vérifiée), mais on
montre qu’il existe sur L1(m) une unique norme vérifiant les propriétés (I) et
(II), et l’algèbre de Banach obtenue par complétion est une C*-algèbre notée
habituellement C*(G).
(1) et (1H)
fournissent des exemples de C*-algèbre commutative: ce sont des exemples
universels dans la mesure où, pour une C*-algèbre commutative, la transformation
de Gelfand est un isomorphisme. On obtient ainsi le théorème de représentation.
– Une C*-algèbre
commutative et unitaire est naturellement isomorphe à l’algèbre des fonctions
continues sur son spectre (qui est un espace compact);
– Une C*-algèbre
commutative est naturellement isomorphe à l’algèbre des fonctions continues
nulles à l’infini sur son spectre (qui est un espace localement compact).
– Cette propriété
fondamentale permet de définir dans toute C*-algèbre un calcul fonctionnel
continu: si a est un élément normal (i.e. tel que a * et a commutent), on peut
définir sans ambiguïté l’image f (a ) de a par une fonction f continue à
valeurs complexes sur le spectre de a .
(2) est un exemple
de C*-algèbre non commutative (si H est l’espace hilbertien de dimension 2, on
obtient la plus petite de celles-ci, l’algèbre des matrices 2 Z 2, qui est de
dimension 4).
L’exemple (2H) est
universel: toute C*-algèbre est isomorphe à une sous-algèbre involutive fermée
d’un L(H) (mais il n’y a pas de manière privilégiée de la représenter ainsi).
L’algèbre des
opérateurs compacts (2J) joue un rôle fondamental dans toutes les théories,
anciennes et nouvelles, de classification des C*-algèbres et de recherche
d’invariants.
Historiquement, les
algèbres d’opérateurs dans l’espace de Hilbert (C*-algèbres et algèbres de von
Neumann: voir ci-dessous) ont été introduites dans les années trente par J. von
Neumann, à la fois pour disposer d’un formalisme algébrique dans l’étude de
certains problèmes de l’analyse (l’algèbre des opérateurs différentiels par
exemple), et également pour interpréter mathématiquement des phénomènes
spécifiques de la physique quantique, telle l’interdépendance des observations
(par exemple, l’impossibilité de mesurer simultanément la position et la
vitesse d’une particule est formalisée par Heisenberg comme une relation de
non-commutation entre des opérateurs de l’espace hilbertien). Le formalisme
abstrait que nous avons présenté est dû à I. M. Gelfand.
Rapidement, les
C*-algèbres se révèlent un outil important de l’analyse harmonique, et la
C*-algèbre C*(G) (exemple 3 ci-dessus) peut être considérée comme un
"objet dual" du groupe localement compact G (dans le cas où G est
commutatif, la transformation de Gelfand identifie C*(G) et l’algèbre C0(G) des
fonctions nulles à l’infini sur le groupe dual G, ce qui est une autre manière
d’écrire la dualité de Pontriaguine).
D’une manière
heuristique, on peut considérer les C*-algèbres comme des "espaces
localement compacts non commutatifs", considérer leur théorie comme une
"topologie non commutative", leurs formes linéaires comme des
"mesures non commutatives", etc. Dans ses développements récents
(investigation d’invariants homotopiques et K-homologiques), leur étude tend
même à s’imposer comme une "géométrie différentielle non
commutative", se révélant un moyen d’investigation irremplaçable de
structures différentielles qui présentent une composante dynamique: action d’un
groupe de Lie sur une variété, et, plus généralement, toutes les structures de
variété feuilletée.
Le cadre et les
méthodes de la topologie algébrique ont été renouvelés par l’introduction
systématique des C*-algèbres (travaux de G. Kasparov et A. Connes). Les
C*-algèbres ont démontré leur aptitude à fournir et élucider des invariants
topologiques pour les structures différentielles. L’effort porte aujourd’hui
principalement sur la K-homologie algébrique (cf. algèbre TOPOLOGIQUE) et ses
rapports avec la géométrie différentielle; il peut être résumé par ses
résultats les plus importants:
– le théorème de
périodicité de R. Bott (cf. TOPOLOGIE – Topologie algébrique, chap. 5) qui,
reformulé, fournit des suites exactes de K-homologie à six termes (alors que
les suites exactes d’homologie sont en principe infinies) et permet des calculs
explicites;
– le théorème de
l’indice de M. F. Atiyah et I. M. Singer, dans la version achevée d’A. Connes,
permet de relier des invariants dynamiques d’une variété feuilletée (l’indice
analytique des opérateurs pseudo-différentiels le long des feuilles, interprété
comme un élément de K-homologie du fibré cotangent au feuilletage) à des
invariants de nature purement algébrique (l’indice topologique, interprété
comme un élément de la K-homologie de la C*-algèbre canoniquement associée au
feuilletage).
Algèbres
de von Neumann
Une algèbre de von
Neumann est une sous-algèbre involutive de l’algèbre L(H) des opérateurs bornés
d’un espace de Hilbert H (cf. ci-dessus l’exemple 2H) qui vérifie l’une des
trois propriétés équivalentes suivantes:
a ) elle contient l’opérateur
identité et elle est fermée pour la topologie de la convergence simple;
b ) elle contient
l’opérateur identité et elle est fermée pour la topologie de la convergence
simple faible;
c ) elle est égale
à son bicommutant (le commutant d’une partie P de L(H) est l’ensemble des
opérateurs bornés de H qui commutent à tous les éléments de P; le bicommutant
est le commutant du commutant).
L’équivalence des
propriétés a , b et c est connue comme le théorème de commutation de J. von
Neumann (1929). On peut également donner une définition plus abstraite (due à
J. Dixmier et S. Sakai): une algèbre de von Neumann est une C*-algèbre qui, en
tant qu’espace normé, est le dual d’un espace de Banach.
Une algèbre de von
Neumann commutative s’identifie à l’algèbre des (classes de) fonctions
mesurables essentiellement bornées sur un espace mesuré. Sur toute algèbre de
von Neumann, le calcul fonctionnel des C*-algèbres se prolonge en un calcul
fonctionnel borélien.
Pour poursuivre
l’analogie du paragraphe précédent, les algèbres de von Neumann sont des
"espaces mesurés non commutatifs" et leur théorie, une "théorie
de la mesure non commutative"; elle fait un usage systématique de
fonctionnelles non bornées, analogues aux mesures dites s-finies, appelées
traces et poids : ce sont des fonctionnelles positives, densément définies,
respectant les limites croissantes.
Les traces sont
celles de ces fonctionnelles sous lesquelles commute toute paire d’éléments
dans leur domaine. À partir d’elles, les initiateurs de la théorie, F. J.
Murray et J. von Neumann, avaient classé ces algèbres en trois types: type I,
ou discrètes (dont la théorie se ramène plus ou moins au cas commutatif); type
II, ou continues et à trace (celles qui ne sont pas discrètes mais possèdent
suffisamment de traces); type III, ou purement infinies (celles qui ne
possèdent aucune trace). Ils avaient également démontré un résultat d’unicité
remarquable: celle d’une algèbre de von Neumann continue, à trace finie, à
centre trivial, qui soit limite inductive d’algèbres de matrices (théorème
d’unicité du facteur hyperfini de type II1, 1943).
La connaissance de
la structure des algèbres de von Neumann a fait des progrès remarquables.
D’abord avec la théorie de M. Tomita qui associe à tout poids un groupe à un
paramètre d’automorphismes, le groupe modulaire, mesurant exactement son degré
de non-commutativité; ensuite avec la classification de A. Connes (dont les
travaux sur les algèbres de von Neumann et les C*-algèbres ont été consacrés
par une médaille Fields en 1982), fondée sur le caractère intrinsèque du groupe
modulaire, qui fournit, pour le type III, des invariants affinant la typologie
de Murray et von Neumann, puis généralise le théorème d’unicité du facteur
hyperfini en montrant que, pour toute une catégorie d’algèbres de von Neumann
(à une exception près, celles des algèbres dont le centre est trivial et qui
sont limite inductive d’algèbres de matrices), il s’agit d’invariants complets,
c’est-à-dire caractérisant l’algèbre à isomorphisme près.