L'Alcool
Le mot alcool, de
l’arabe al khoul ou al koh’l , désignait à l’origine une poudre très fine à base
de stibine (sulfure d’antimoine). À ce mot s’attacha une idée de finesse et de
subtilité, de sorte que les alchimistes l’appliquaient aussi bien à des poudres
impalpables résultant d’une sublimation qu’aux principes volatils isolés par
distillation. Paracelse nommait alcool vini celui qu’on recueillait dans la
distillation du vin. À partir du début du XIXe siècle, ce dernier sens du mot
alcool, employé sans qualificatif, devint à peu près exclusif. L’alcool de vin
– dont le nom officiel est éthanol – avait donné lieu à un nombre important de
transformations chimiques, et celles-ci présentaient de grandes analogies avec
celles qui caractérisaient deux autres composés: l’alcool de bois, aujourd’hui
appelé le méthanol, et l’alcool cétylique extrait du blanc de baleine.
Progressivement, le mot alcool devint générique et désigna l’ensemble des
composés dérivant d’un hydrocarbure par substitution, sur un carbone saturé,
d’un hydrogène par un hydroxyle. Les alcools sont donc les composés portant le
groupe fonctionnel hydroxyle _OH sur un carbone saturé (sp3) de la chaîne
hydrocarbonée.
La nature nous
fournit un grand nombre d’alcools, à fonction simple, soit sous la forme
d’alcools proprement dits, soit sous forme de dérivés, notamment d’esters: les
alcools de fermentation, les huiles essentielles, le glycérol des lipides, le
cholestérol des tissus animaux, les alcools laurique en C12 de la noix de coco,
cétylique en C16 du blanc de baleine et cérylique en C26 de la cire de Chine.
Les sucres sont des polyalcools aldéhydiques ou cétoniques.
1.
Divers types d’alcools et leur nomenclature
On appelle classe
d’un alcool le degré de substitution du carbone saturé qui porte la fonction
hydroxyle: au carbone primaire, monosubstitué, correspond l’alcool primaire
R_CH2OH, au carbone secondaire, bisubstitué, l’alcool secondaire RRHCHOH et au
carbone tertiaire, trisubstitué, l’alcool tertiaire RRHRJCOH. Le méthanol,
CH3OH, est seul de son espèce. On distingue également les alcools dont la
fonction hydroxyle est portée par un carbone sp3 lié à une chaîne insaturée:
alcools allyliques
qui présentent des
propriétés spécifiques.
La fonction alcool
peut aussi se trouver fixée sur un squelette porteur d’une ou de plusieurs
autres fonctions: diols ou glycols, triols ou glycérols, etc.; acides-alcools,
aldéhydes-alcools ou aldols, cétones-alcools ou cétols, amines-alcools ou
aminoalcools, etc.
La nomenclature
officielle de l’I.U.P.A.C. (International Union of Pure and Applied Chemistry)
forme le nom d’un alcool en remplaçant l’e final du nom de l’hydrocarbure dont
il dérive par le suffixe -ol . Lorsque la chaîne est ramifiée, le nom de
l’alcool dérive de celui de la chaîne la plus longue qui porte la fonction, et
le numérotage donne la priorité du plus petit nombre au carbone hydroxylé. Une
nomenclature courante, due à Kolbe, fait dériver le nom des alcools de celui du
plus simple, le méthanol appelé carbinol, en dénommant le ou les groupes qui
remplacent l’hydrogène de ce carbinol. Enfin, une nomenclature usuelle les
désigne comme alcools alkyliques.
2.
Préparations et modes de formation
Fermentation
La fermentation
alcoolique des jus sucrés sous l’action de micro-organismes tels que les
levures et les bactéries est une source d’alcools. L’éthanol est fabriqué
industriellement par fermentation, sous l’action du complexe enzymatique
zymase, présent dans la levure de bière, de mono- et disaccharides comme le
glucose, le fructose, le saccharose, etc. provenant de l’hydrolyse de
polysaccharides tels que l’amidon, la fécule et la cellulose ou de jus sucrés
naturels comme le sucre de canne et les mélasses de sucrerie. Le butanol-1 est
obtenu en mélange avec l’acétone par fermentation de sucres en C6 tels que le
glucose et le fructose, en C5 (xylose), de disaccharides comme le saccharose et
le lactose ou de polysaccharides (amidon), en présence d’une bactérie, le
Clostridium acetobutylicum .
Synthèses
industrielles
Le méthanol, qui
est l’une des plus importantes matières premières industrielles de synthèse,
est fabriqué par hydrogénation catalytique du monoxyde de carbone: le gaz de
synthèse (CO + 2H2) obtenu soit par oxydation du méthane, soit par
gazéification du charbon est traité à 250 0C et sous 50 bars par un catalyseur
à base de CuO, ZnO, Al2O3:
L’éthanol est
fabriqué industriellement par hydratation de l’éthylène, soit indirectement par
absorption par l’acide sulfurique à 95 p. 100 puis hydrolyse des esters
sulfuriques d’éthyle, soit directement par passage du mélange gazeux d’éthylène
et d’eau sur un catalyseur d’acide phosphorique sur silice (réactions 1).
L’hydratation
indirecte du propylène par l’acide sulfurique à 75 p. 100, puis hydrolyse, ou
directe sur acide phosphorique, conduit à l’isopropanol (réactions 2).
Le butane-1-ol est
fabriqué par deux voies: soit l’hydroformylation du propène ou synthèse OXO sur
catalyseur au cobalt ou au rhodium, suivie de l’hydrogénation du butanal, avec
coproduction d’isobutanol (réaction 3); soit l’aldolisation de l’éthanal, la
crotonisation de l’aldol puis l’hydrogénation du crotonaldéhyde:
Le butane-2-ol,
résulte de l’hydratation indirecte de la coupe C4 de vapocraquage, débarrassée
du butadiène et de l’isobutène: le butène-1 et les butènes-2 sont hydratés
sélectivement en alcool secondaire (réactions 4). Le 2-méthylpropanol ou
tertiobutanol est fabriqué par hydratation indirecte de l’isobutène contenu
dans la coupe C4 débarrassée du butadiène: des n -butènes, c’est le plus
réactif, et l’emploi d’un acide sulfurique dilué à 55 p. 100 permet de
l’absorber sélectivement (réaction 5). L’isobutène peut aussi être extrait
d’une manière sélective en lui additionnant du méthanol en catalyse acide, pour
former l’éther de méthyle et de tertiobutyle (M.T.B.E.). L’époxydation du
propène par l’hydroperoxyde de tertiobutyle donne le tertiobutanol, c’est le
procédé Oxirane (réaction 6).
Deux séries
d’alcools supérieurs sont fabriquées: un premier groupe d’alcools primaires en
C6-C9 utilisé pour la synthèse de plastifiants (esters) et un second en C12 et
plus pour la fabrication de détergents. Un procédé général appelé Aldox est
utilisé pour la synthèse des alcools du premier groupe: il fait intervenir
l’hydroformylation d’une a-oléfine, l’aldolisation de l’aldéhyde obtenu
(doublement de la chaîne carbonée), sa crotonisation et une hydrogénation:
Un second procédé
permet la synthèse d’alcools primaires à chaîne linéaire à partir d’éthylène:
il réalise l’oligomérisation de l’éthylène sur catalyseur de triéthylaluminium,
l’oxydation du trialkylaluminium puis l’hydrolyse de l’alcoolate. Le mélange
d’alcools obtenus peut contenir des chaînes de C4 à C16 avec un maximum de
population en C12:
Des alcools à
longue chaîne ou alcools gras sont obtenus par méthanolyse de corps gras
naturels tels que les graisses animales ou végétales puis hydrogénolyse des
esters méthyliques des acides gras (réaction 7).
Synthèses de
laboratoire
Hydrolyse de
dérivés fonctionnels monovalents
L’eau, réactif
nucléophile, ou sa base conjuguée HO- qui est présente dans des bases alcalines
NaOH et KOH, réagit sur les substrats porteurs de groupements fonctionnels
comme les halogénures et les esters. La réaction est une substitution
nucléophile, généralement bimoléculaire (SN2), sauf dans le cas des halogénures
tertiaires et des esters d’alcools tertiaires où le mécanisme peut être
unimoléculaire (SN1). Dans le cas où le réactif est une base forte, la
substitution peut être accompagnée d’une élimination et conduire à un
éthylénique. Ce mode de préparation ne présente d’intérêt que si le dérivé
fonctionnel, soumis à l’hydrolyse, n’est pas lui-même issu de l’alcool. C’est
ainsi que l’on prépare industriellement l’alcool allylique par hydrolyse à la
soude du chlorure d’allyle, obtenu par chloration radicalaire du propène:
La saponification
d’esters d’alcools gras naturels, présents dans les cires, libère l’alcool en
formant un sel alcalin de l’acide gras (savon). Par exemple, le traitement par
la soude du palmitate de cétyle, principal constituant du blanc de baleine,
soustrait l’alcool cétylique et forme le palmitate de sodium:
L’alcoolyse des
esters, en catalyse acide, permet de libérer l’alcool de l’ester:
L’hydrolyse des
esters sulfuriques d’alkyle, obtenus par addition de l’acide sur un alcène, est
une réaction de ce type.
Hydratation des
alcènes
Cette réaction,
pratiquée industriellement pour la fabrication des alcools en C2, C3 et C4,
conduit essentiellement aux alcools secondaires et tertiaires (sauf pour
l’éthanol) du fait de l’orientation de l’addition [cf. ALCÈNES]. L’hydratation
indirecte d’un alcène terminal par la suite de réactions d’hydroboration, d’oxydation
et d’hydrolyse permet d’obtenir l’alcool primaire (réaction 8).
Hydrogénation de
dérivés carbonylés
La réduction des
aldéhydes et des cétones en alcools primaires et secondaires peut être réalisée
par l’action de l’hydrogène en présence de catalyseur métallique comme le
platine Pt et le nickel Ni:
Lorsque la chaîne
du dérivé carbonylé comporte un groupe réductible par l’hydrogène moléculaire,
une liaison éthylénique par exemple, la réduction de la seule fonction
carbonyle peut être réalisée par l’action d’un hydrure métallique complexe
comme LiAlH4, qui est soluble dans l’éther et décomposé par l’eau, NaBH4
soluble dans l’eau sans décomposition. La réaction suivante montre, sur
l’exemple du crotonaldéhyde, l’hydrogénation sélective de la fonction
carbonyle, avec conservation de la fonction éthylénique, pour former l’alcool
crotylique alors que l’hydrogénation catalytique sur nickel du même aldéhyde
insaturé conduit au butanol-1:
L’hydrure complexe
de lithium et d’aluminium est susceptible de réduire en alcools primaires les
acides carboxyliques qui résistent à la plupart des agents d’hydrogénation:
l’acide pivalique est ainsi transformé en alcool néopentylique (réaction 9).
Les esters sont également réduits en alcools par AlLiH4 ou par action d’un
excès de sodium en présence d’éthanol absolu (Bouveault et Blanc): ce dernier
cas est appliqué aux cétones, les aldéhydes étant sensibles aux milieux
basiques:
Les esters d’acides
gras sont réduits industriellement en alcools gras par l’hydrogène sur
catalyseur de chromite de cuivre Cr2O3, CuO (Adkins): la réaction suivante est
l’exemple du laurate de méthyle (obtenu par méthanolyse de la laurine, ou
trilaurate de glycérol, extraite de la noix de coco) qui est transformé en
alcool laurique:
Une autre réaction
spécifique de l’hydrogénation des fonctions carbonyle est l’échange fonctionnel
carbonyle-alcool, de Meerwein, Ponndorf, Verley: le dérivé carbonylé à réduire
est traité par un alcool secondaire, l’isopropanol, en présence d’une quantité
catalytique d’isopropylate d’aluminium. L’échange fonctionnel est réversible et
l’équilibre est déplacé vers la formation de l’alcool recherché par élimination
de l’acétone formée, qui est le constituant le plus volatil. Cette méthode
respecte les autres fonctions réductibles (halogène, nitro, double liaison)
[réaction 10].
Addition
d’organométalliques sur les fonctions carbonyle
Les
organomagnésiens s’additionnent sur le méthanal ou sur un aldéhyde ou encore
sur une cétone pour donner respectivement des alcools primaire, secondaire et
tertiaire. Cette méthode de préparation est très générale.
Les chlorures
d’acides et les esters réagissent sur les organomagnésiens en donnant des
cétones, non isolées, qui sont transformées en alcools tertiaires. L’oxyde
d’éthylène conduit aux alcools primaires.
L’acétylène
s’additionne sur les aldéhydes et les cétones par catalyse basique ou en
présence d’acétylure de cuivre et d’argent. Cette réaction est appliquée
industriellement à la préparation du butyne-1,4-diol qui, par hydrogénation,
conduit au butane-1,4-diol:
3.
Propriétés physiques
La présence de la
fonction hydroxyle entraîne, pour les alcools, un ensemble de propriétés physiques
particulières: les molécules sont polaires (tabl. 1) et associées par des
liaisons hydrogène (fig. 1). Surtout sensible pour les premiers termes, cette
association intermoléculaire se traduit par un ensemble de propriétés
caractéristiques. Moins spectaculaire que pour l’eau, bien que de même nature,
elle est importante pour les alcools primaires, notable pour les secondaires et
faible pour les tertiaires. Elle diminue lorsque la température s’élève.
Une première
conséquence de cette association est une température d’ébullition des alcools
notablement supérieure à celle des alcanes de même masse moléculaire (fig. 2),
avec une anomalie dans l’évolution de la volatilité des alcools primaires
linéaires: alors que dans la série des n -alcanes (liquides idéaux) l’écart
entre les températures d’ébullition de deux homologues consécutifs diminue
lorsque la chaîne s’allonge, dans le cas des alcools cet écart, du moins
jusqu’au terme en C10, est sensiblement constant et voisin de 19 0C. Cette
anomalie résulte d’une compensation, presque rigoureuse, entre l’effet de
l’allongement de la chaîne et la diminution de l’association avec l’élévation
de la température. Cette association explique l’écart notable des températures
d’ébullition d’alcools primaires, secondaires et tertiaires isomères ainsi que
la proximité de celles des alcools C2 primaire, C3 secondaire et C4 tertiaire.
L’affinité pour
l’eau des alcools, notamment des premiers termes, entraîne l’existence d’une
azéotropie homogène ou hétérogène, mais toujours positive. L’azéotrope
eau-éthanol bout seulement à 0,25 0C plus bas que l’éthanol pur (respectivement
78,15 0C et 78,40 0C); il renferme environ 5 p. 100 d’eau en poids et est
désigné sous le nom d’alcool à 95o. Le pourcentage d’eau dans les azéotropes augmente
avec la masse moléculaire de l’alcool.
Les températures de
fusion des alcools ne présentent pas de loi simple d’évolution en fonction de
la masse moléculaire, du moins pour les premiers termes. Pour les alcools
primaires linéaires plus longs, on observe une progression voisine de celle
observée pour les alcanes de même chaîne. Les alcools tertiaires symétriques
cristallisent plus facilement que leurs isomères primaires et secondaires. Par
exemple, le butanol tertiaire fond à 25,5 0C, alors que les isomères n
-primaire, iso-primaire, secondaire fondent respectivement à _ 79,9 0C, _ 108
0C et _ 114,7 0C. De nombreux alcools naturels, appartenant à la série
terpénique, sont solides à la température ordinaire (l (_) menthol F 43 0C; d
,l bornéol F 208 0C).
Du fait de leur
constante diélectrique relativement élevée (tabl. 1), les alcools en C1, C2 et
C3 sont des solvants protoniques polaires pour les espèces ioniques. Leur
capacité de former des associations par liaison hydrogène leur permet aussi de
dissoudre des molécules à caractère acide et basique; c’est pourquoi ils sont
couramment employés en synthèse organique. Ils sont, ainsi que le
tertiobutanol, miscibles à l’eau en toute proportion. Les autres butanols
restent solubles mais non miscibles, et la solubilité dans l’eau diminue
lorsque la masse moléculaire augmente, puis elle devient négligeable à partir
de C10; en revanche, la liposolubilité augmente.
Les termes simples
tels que le méthanol et l’éthanol dissolvent facilement certains sels de métaux
à caractère faiblement ionique: halogénures de lithium, chlorure mercurique,
chlorure ferrique; ces solutions ne sont pas ionisées. Les sels à caractère
ionique ont une solubilité variable en fonction de leur nature: les chlorures
de sodium et de potassium sont très peu solubles, les iodures et les nitrites
le sont; ces solutions restent peu ionisées et renferment vraisemblablement des
paires d’ions solvatées. La soude et la potasse se dissolvent aisément alors
que la baryte Ba(OH)2, les sulfates et carbonates sont totalement insolubles.
L’éthanol, en particulier, est souvent utilisé pour éliminer l’un de ces sels
d’une préparation organique. Les sucres sont bien moins solubles dans l’éthanol
que dans l’eau.
Transparents dans
l’ultraviolet et le visible, les alcools présentent, en absorption infrarouge,
des bandes caractéristiques de la vibration d’élongation de la liaison O_H.
Lorsque l’éthanol est en phase vapeur ou en solution très diluée dans un
solvant apolaire comme CCl4, la bande nO-H est fine et située à 3 650 cm-1: la
molécule n’est pas associée. Si la concentration augmente, et a fortiori pour
l’alcool pur, une seconde bande large apparaît autour de 3 350 cm-1 qui
correspond à la vibration d’élongation de la liaison O_H de molécules associées
par liaison hydrogène. L’apparition de cette bande à environ 300 cm-1 vers les
basses fréquences correspond à un "alourdissement" de l’atome
d’hydrogène, et son élargissement au fait que les molécules d’alcool sont
associées en agrégats de taille et de forme variables, correspondant à des
liaisons hydrogène de nature variée, dont les fréquences de vibration se
situent dans un intervalle de plusieurs centaines de cm-1 autour d’une valeur
centrale de 3 350 cm-1. De l’intensité relative des bandes nO-H libre et nO-H associé,
on peut estimer le degré d’association de l’alcool.
Les propriétés
organoleptiques et physiologiques des alcools varient avec leur nature. Le
méthanol, l’éthanol et l’isopropanol, bien purs, sont à peu près inodores; les
deux derniers, l’éthanol surtout, sont les excipients les plus courants des
parfums naturels ou synthétiques. Les alcools tertiaires simples possèdent une
odeur camphrée. Les premiers termes des alcools éthyléniques sont agressifs.
Par contre, parmi les termes moyens se rencontrent de nombreux parfums naturels
ou artificiels: géraniol, linalol, citronellol, bornéol, etc. (tabl. 2). Ils
sont utilisés en parfumerie ainsi que leurs esters.
À des doses
raisonnables, l’éthanol, présent dans les vins, cidres, poirés, bières, etc.,
et dans les spiritueux, n’est pas toxique; sa valeur stimulative est très
contestée. À haute dose, il provoque l’ivresse; à dose exagérée et répétée,
l’alcoolisme et la cirrhose. Toutefois, il est bien établi que les effets
durables qu’on lui attribue sont dus en partie aux impuretés qui l’accompagnent
dans les spiritueux: alcools supérieurs, aldéhydes ou cétones auxquels ils
doivent leur arôme.
Le méthanol,
parfois employé dans la confection frauduleuse des spiritueux, est beaucoup
plus toxique. On lui doit de nombreux accidents mortels et des cas de cécité.
Les alcools dit de "fusel", alcools supérieurs de fermentation,
présents dans les eaux-de-vie mal rectifiées, sont également dangereux.
4.
Propriétés chimiques
Structure
électronique
Compte tenu de la
grande électronégativité de l’oxygène, la molécule d’alcool connaît, au niveau
du groupe fonctionnel, une importante polarisation des liaisons C _O_ O et O
_S_ H. Celle-ci induit, dans le squelette hydrocarboné, une polarisation
monotone des liaisons adjacentes, qui s’amortit dès la troisième liaison (effet
induit ou effet de champ). Les réponses, à cette induction, des liaisons issues
du carbone sp3 porteur du groupe OH, sont différentes en fonction du degré de
substitution de cet atome: en effet, le carbone sp3 des alcanes est moins
électronégatif que l’hydrogène, de sorte que la liaison C(sp3)_H est
naturellement polarisée du carbone (d+) vers l’hydrogène (d-). La situation
électronique des alcools dépend ainsi de leur classe, l’effet de champ de
l’oxygène fonctionnel étant mieux relayé par la chaîne carbonée d’un alcool
tertiaire que par celle d’un primaire.
Réactions
mettant en jeu la liaison OH
Acidité,
basicité
La fonction alcool
présente à la fois un caractère acide et un caractère basique. Son acidité se
manifeste lorsqu’il est mis au contact d’une base: le proton est cédé à cette
dernière et l’anion alcoolate formé ainsi que l’acide conjugué de la base se
trouvent en équilibre avec l’alcool non dissocié:
La basicité de
l’alcool se manifeste lorsqu’il est mis en présence d’un acide protonique: il
fixe le proton de ce dernier, et le cation alkyloxonium formé, ainsi que la
base conjuguée de l’acide se trouvent en équilibre avec l’alcool non protoné:
Étant à la fois
acide et base, l’alcool pur se trouve en équilibre avec son acide et sa base
conjugués:
Cet équilibre
d’autodissociation de l’alcool est très déplacé vers la gauche, plus encore que
celui de l’eau: le produit ionique du méthanol est de 10-17, alors que celui de
l’eau est de 10-14.
En solution dans l’eau,
les alcools sont donc faiblement dissociés selon l’équilibre:
dont la constante
varie de 10-16 pour les alcools primaires à 10-18 pour les tertiaires.
Cette plus forte
acidité des alcools primaires résulte de la meilleure dispersion de la charge
négative de l’anion alcoolate sur le squelette hydrocarboné, qui entraîne une
meilleure solvatation de cet anion.
La basicité des
alcools est légèrement inférieure à celle de l’eau, et l’acide conjugué de
l’alcool est d’autant mieux stabilisé par solvatation que sa charge positive
est mieux dispersée sur le squelette hydrocarboné, ce qui entraîne une basicité
décroissante dans l’ordre: alcool tertiaire O secondaire O primaire O méthanol.
Formation
et réactions d’alcoolates
Les dérivés
métalliques d’acides plus faibles que les alcools réagissent avec ces derniers
en formant des alcoolates: l’amidure de sodium, l’hydrure de sodium, le
butyllithium et le bromure de méthylmagnésium réagissent avec l’éthanol en
formant, d’une manière pratiquement totale, l’éthylate métallique correspondant
(réactions 11).
Les métaux
alcalins, l’aluminium amalgamé réagissent sur les alcools en formant les
alcoolates métalliques correspondants, avec dégagement d’hydrogène:
Les alcoolates
d’aluminium et de magnésium ne sont pas ionisés en solution alcoolique, les
alcoolates alcalins le sont partiellement (paires d’ions solvatées). Ce sont
des bases relativement fortes qui sont utilisées comme catalyseurs dans de
nombreuses réactions (cf. ester et synthèses ACÉTYLACÉTIQUES). Les alcoolates
sont complètement hydrolysés si l’eau est en grand excès; en proportions
stœchiométriques, l’hydrolyse de l’éthylate de sodium est limitée à 70 p. 100,
ce qui permet la fabrication de l’éthylate de sodium à partir de l’alcool
absolu en grand excès et de la soude:
on déplace
l’équilibre en éliminant l’eau sous forme d’azéotrope à 95 p. 100 d’alcool.
Les alcoolates sont
des réactifs meilleurs nucléophiles que les alcools, ils interviennent dans des
réactions d’éthérification. Agissant sur un halogénure, un sulfonate ou un
sulfate d’alkyle, ils conduisent aux éthers (Williamson, 1850). La réaction de
substitution SN2 est beaucoup plus rapide que celle des alcools correspondants;
elle peut être accompagnée d’une élimination E2 conduisant aux alcènes. Cette réaction
secondaire est d’autant plus probable que l’alcool est tertiaire et que la
température de réaction est élevée:
Les alcoolates
primaires et secondaires sont également des réducteurs, comme dans l’échange
fonctionnel alcool/aldéhyde-cétone catalysé par l’isopropylate d’aluminium:
c’est la réduction de Meerwein-Ponndorf-Verley (réaction 10). Ce mécanisme fait
intervenir un transfert d’hydrure dont le moteur est le passage du doublet
libre de la fonction alcoolate en doublet p carbonyle (réaction 12).
Les alcoolates
métalliques qui dérivent d’alcools porteurs en b d’un groupe susceptible de
stabiliser un carbanion (> C=O, _CO2R, _NO2, _SO2) subissent plus ou moins
facilement la fragmentation conduisant à ce dernier sous l’action d’une
élévation de température (réaction 13).
Estérification
Bien que plusieurs
mécanismes entrent en action dans l’estérification des acides carboxyliques par
les alcools, le plus important d’entre eux fait intervenir la rupture de la
liaison O_H. Cette réaction, très lente en l’absence de catalyseur, est
fortement accélérée par les ions H+; sa limite à l’équilibre dépend de la
classe de l’alcool: à partir d’un mélange stœchiométrique d’acide carboxylique
et d’alcool, elle atteint 73 p. 100 pour le méthanol, 66 p. 100 pour les alcools
primaires, 63 p. 100 pour les secondaires et moins de 10 p. 100 pour les
tertiaires.
Le mécanisme le
plus important correspond à l’activation nucléophile de l’acide par
protonation, attaque de l’acide activé par l’alcool dans une étape d’addition
nucléophile, trans-protonation suivie de l’élimination intramoléculaire du bon
groupe partant H2O (réaction 14). Cette réaction d’estérification, réalisée
avec un diacide et un glycol primaire, conduit aux polyesters utilisés pour la
fabrication de fibres, de films, de résines:
Dans le cas d’un
alcool tertiaire, un mécanisme différent fait intervenir la rupture de la
liaison C_O. Étant plus basique, il se protone et subit une hétérolyse
unimoléculaire qui conduit à un cation carbénium tertiaire. Ce dernier, fortement
électrophile, attaque l’acide carboxylique pour former l’ester:
Les chlorures
d’acides et les anhydrides d’acides réagissent plus rapidement avec les alcools
primaires et secondaires en formant des esters:
Dans le cas des
alcools tertiaires, il peut se produire une réaction parallèle de chloruration.
Les acides minéraux faibles comme B(OH)3, HNO2 réagissent d’une manière
analogue avec les alcools primaires; la réaction est également réversible.
Réactions
d’addition
Les alcools
s’additionnent aux composés insaturés polaires, l’oxygène jouant le rôle d’un
nucléophile et l’hydrogène celui d’un électrophile.
Les dérivés
carbonylés, aldéhydes et cétones additionnent les alcools primaires, en
catalyse acide, pour donner des acétals [cf. ACÉTALS]:
Les époxydes
réagissent, en catalyse acide, avec les alcools primaires en formant des éthers
de glycols:
Les isocyanates
forment, avec les alcools primaires, des carbamates appelés uréthannes: cette
réaction est utilisée pour l’identification des alcools par la détermination de
la température de fusion du phényluréthanne. Ce dernier, qui est un solide bien
cristallisé, résulte de l’addition de l’alcool à l’isocyanate de phényle
(réaction 15). La polyaddition d’un di-isocyanate à un glycol primaire ou
secondaire conduit à un polyuréthanne qui est un polymère aux multiples usages:
mousses souples, objets moulés, vernis polymérisables.
Réactions
mettant en jeu la liaison C_O
Les acides
halogénés attaquent les alcools en formant réversiblement des halogénures
d’alkyle. Les réarrangements de Wagner-Meerwein du squelette carboné peuvent se
produire chez les alcools tertiaires encombrés en a de la fonction. Dans le cas
des alcools tertiaires, secondaires ou ab insaturés, le mécanisme est
normalement unimoléculaire (SN1) et fait intervenir un cation carbénium; ce
dernier peut se réarranger en formant un cation plus stable ou, s’il est
allylique, il offre au nucléophile halogénure plusieurs sites réactionnels. La
bromuration du méthyltertiobutylcarbinol donne exclusivement le bromure de
diméthylisopropylcarbinyle (réaction 16). De même, la chloruration du
méthylvinylcarbinol conduit à un mélange des trois chlorures allyliques
isomères (réaction 17). L’acide chlorhydrique, moins réactif que les acides
bromhydrique et iodhydrique, peut être activé par un acide de Lewis comme
ZnCl2. La réaction de ce superacide, avec les alcools, permet de déterminer
leur classe: à température ordinaire, l’alcool tertiaire réagit très
rapidement, le secondaire demande plusieurs minutes et le primaire nécessite un
chauffage (test de Lucas).
Les oxacides forts
comme H2SO4, NHO3 forment réversiblement à froid des esters avec les alcools
primaires à température modérée (S 130 0C). En présence d’un excès d’alcool,
l’ester sulfurique formé est alcoolysé en éther; à température plus élevée (150
0C), il subit une élimination qui conduit à l’alcène. Les alcools tertiaires
subissent essentiellement une déshydratation:
Les chlorures
d’acides carboxyliques réagissent avec les alcools tertiaires en donnant
simultanément un ester et un chlorure. L’attaque nucléophile de la fonction
carbonyle, par l’alcool, aboutit à un intermédiaire qui peut soit éliminer un
proton et conduire à l’ester, soit subir une hétérolyse formant un cation
carbénium tertiaire et aboutir au chlorure d’alkyle (réaction 18).
Les chlorures
d’acides minéraux, comme l’oxychlorure de phosphore OPCl3 et le chlorure de
thionyle OSCl2, transforment les alcools en chlorure d’alkyle. Dans le cas du
chlorure de thionyle, la réaction est stéréospécifique et se produit avec
rétention de configuration; le chlorosulfite d’alkyle formé initialement se
fragmente selon un mécanisme SN1 de substitution nucléophile interne (réaction
19).
L’élimination d’une
molécule d’eau (déshydratation) se produit très rapidement, en catalyse acide
et à température modérée, pour des alcools tertiaires; elle est plus lente pour
les secondaires et nécessite, pour les primaires, une température plus élevée
(150 0C). La plupart des alcools se déshydratent à une température supérieure à
300 0C, en présence de catalyseurs solides comme la silice ou l’alumine, en
donnant des alcènes, accompagnés parfois d’éthers si la température est plus
modérée.
Réactions
de déshydrogénation et d’oxydation
Le méthanol, les
alcools primaires et secondaires subissent une déshydrogénation sous l’action
de catalyseurs comme le nickel, le platine, le cuivre réduits. Cette réaction,
réalisée en phase gazeuse, est réversible. On peut la rendre totale en la
combinant à une oxydation ménagée par l’air. Il se forme un dérivé carbonylé:
le méthanal dans le cas du méthanol, un aldéhyde dans le cas d’un alcool
primaire, une cétone dans celui d’un alcool secondaire (réactions 20). Les
alcools tertiaires ne possédant pas d’hydrogène sur le carbone porteur de la
fonction ne subissent pas de déshydrogénation, tout au plus sont-ils
déshydratés en alcènes dans les mêmes conditions. Le méthanal est fabriqué
industriellement par oxydéshydrogénation du méthanol par un défaut d’air sur
catalyseur d’argent à 680 0C. Un procédé de fabrication de l’éthanal réalise la
déshydrogénation de l’éthanol sur catalyseur au cuivre, activé par le zinc, à
280 0C.
Le passage de
l’alcool au dérivé carbonylé peut être réalisé à froid par oxydation en phase
liquide. L’oxydant usuel est l’acide chromique H2CrO4 ou le bichromate de
sodium Na2Cr2O7 et l’acide sulfurique. Le mécanisme de cette réaction fait
intervenir la formation d’un chromate d’alkyle suivie d’une élimination inter
ou intramoléculaire au cours de laquelle le chrome subit une réduction du degré
d’oxydation 6(H2CrO4) au degré d’oxydation 4(H2CrO3) qui se dismute en donnant
du chrome III et du chrome VI (réactions 21). Dans ces conditions, l’aldéhyde
résultant de l’oxydation d’un alcool primaire est distillé au fur et à mesure
de sa formation pour éviter une oxydation ultérieure en acide.
Vis-à-vis
d’oxydants plus puissants comme le permanganate de potassium ou l’acide
nitrique à 80 0C, les trois classes d’alcool réagissent spécifiquement. Les
alcools primaires sont transformés en acide à même nombre d’atomes de carbone;
en effet, la plupart des acides sont inoxydables dans ces conditions. Les
alcools secondaires sont oxydés en cétones qui, si on insiste, subissent une
rupture oxydante en un mélange d’acides et éventuellement de cétones peu
oxydables; l’acétone résiste à cette oxydation ultérieure.
Les résultats sont
plus complexes si les radicaux qui flanquent le groupe _CHOH_ sont ramifiés;
seul l’isopropanol n’est pas dégradé. Les alcools tertiaires sont peu oxydables
en milieu neutre; en milieu acide, seuls les alcools non déshydratables, comme
(C6H5)3COH, résistent aux oxydants. Les autres sont déshydratés sous l’action
catalytique de l’acide, et l’alcène résultant est très oxydable. Il se forme un
glycol qui subit un clivage oxydant (réaction 22).
Une oxydation
sélective des alcools primaires et secondaires peut être réalisée par un
échange fonctionnel catalysé par le tertiobutylate d’aluminium. C’est la
réaction d’Oppenauer, inverse de la réaction de Meerwein-Ponndorf-Verley
(réaction 10); l’alcool à oxyder est mis en présence d’un large excès d’acétone
(rapport molaire 1/50) et du catalyseur. L’équilibre ainsi déplacé par action
de masse permet la transformation, pratiquement totale, de l’alcool en aldéhyde
ou cétone.