Les
Acides
Les
mesures
Les mesures
quantitatives devinrent alors possibles à l’aide de la conductibilité puisque
celle-ci croît avec a; la comparaison, à concentration égale, les
conductibilités d’acides ou bases en solution permit d’accéder à a, puis K , et
d’établir ainsi une échelle de leurs forces. Un autre moyen d’évaluation de K ,
plus direct, fut fourni ensuite par les mesures de concentrations (ou
activités) des ions H+, soit par potentiel d’électrodes, soit par indicateurs
colorés. On peut y parvenir de deux façons différentes:
– Mesure de la
concentration [H+] dans une solution d’acide à la concentration globale C ; il
existe en effet entre a et [H+] la relation simple: [H+] = a C .
– Mesure de [H+]
dans une solution d’acide HA en présence d’un de ses sels à la concentration
[A-]; la formule (aH) donne K A si [H+] est mesurable, puisque les
concentrations [HA] et [A-] sont connues; en particulier, si:
suivant l’usage, on
pose pH = _ lg [H+] et, par analogie: pK A = _ lg K A, (aH) prend la forme:
qui ne peut
s’appliquer qu’aux solutions aqueuses diluées d’acides pas trop forts car, pour
les acides forts, l’équation (a) n’est plus un équilibre puisqu’ils sont
entièrement dissociés.
Les valeurs de pK
varient beaucoup suivant les acides, les valeurs élevées correspondant aux
acides les plus faibles: 10 pour les phénols, 9,2 pour l’acide borique, 4,6
pour l’acide acétique, 0,7 pour l’acide trichloracétique.
L’acide considéré
peut renfermer plusieurs protons disponibles: par exemple H2SO4 (diacide),
H3PO4 (triacide).
Pour un diacide
H2A, il faudra considérer deux équilibres:
Avec H3PO4, par
exemple, les pK 1, pK 2, pK 3 successifs sont: 2,1; 7,2 et 12,3.
Cas
des bases
Les raisonnements
précédents sont applicables, en substituant les ions OH- aux ions H+. En
solution aqueuse, on peut passer aisément de [H+] à [OH-], ce qui permet
d’évaluer [OH-]. Considérons en effet l’équilibre:
Si la solution est
diluée, [H2O] peut être considérée comme constante, d’où:
où K e désigne une
autre constante (produit ionique ), qui est de l’ordre de 10-14 à température
ordinaire.
Formule permettant
de déterminer K B par mesure de [H+] ou pH.
Considérations
résultant des notions précédentes
L’hydrolyse des
sels
Dans l’eau pure, en
vertu de l’équilibre (c), il existe autant d’ions H+ que d’ions OH-, et comme
[H+] [OH-] = 10-14, on en déduit [H+] = 10-7 = [OH-] soit pH = 7; au-dessous de
ce pH, la solution est considérée comme acide, et au-dessus comme alcaline.
Une réaction telle
que (d) résulte, comme il a été montré, de la superposition d’équilibres, elle
devrait donc être elle-même équilibrée; en réalité, elle est pratiquement
complète dans le sens X, en raison de la faible dissociation de l’eau. L’action
de l’acide chlorhydrique, acide fort, sur une égale quantité de soude, base
forte, conduit bien en effet au chlorure de sodium et à l’eau, donc à une
solution neutre, ce qui revient à dire que la réaction inverse, hydrolyse du
sel AB (NaCl), est négligeable; il arrive, cependant, qu’on doive la prendre en
considération.
Supposons que HA
soit un acide faible, et BOH une base forte; la dissociation de l’eau ne sera
pas négligeable, cette fois, par rapport à celle de HA. Donc, si l’on dissout
le sel AB dans l’eau, on ne pourra éviter la coexistence de HA, acide faible,
et OH-, dissociation de H2O, d’où l’équation (d) écrite en sens inverse:
et dans laquelle on
a supprimé B+ dans les 2 membres, puisque BOH est une base forte. On y associe
la constante d’hydrolyse:
en multipliant
numérateur et dénominateur par [H+], on voit aisément que K h = K e/K A.
L’hydrolyse de A-
(sel AB du type acétate de sodium) donne des quantités égales de HA et OH-,
mais, HA étant peu dissocié, la concentration de OH- prime celle de H+, et
l’ensemble a un pH alcalin, qui peut devenir élevé: c’est le cas du carbonate
de sodium qui donne, en raison du pK 2 élevé de l’ion bicarbonate (10,2), un pH
d’environ 12, ce qui faisait ranger primitivement les carbonates alcalins parmi
les alcalis.
En effectuant les
mêmes raisonnements sur un sel de base faible BOH et d’acide fort (NH4Cl), on
assisterait à la réaction:
On y associe de
même la constante d’hydrolyse:
et la solution du
sel a une réaction acide: il était connu depuis longtemps que le "sel
ammoniac" (NH4Cl) a un comportement faiblement acide.
Les
indicateurs colorés
Il arrive que
certains acides organiques faibles, dénommés HIn, soient fortement colorés, et
que leurs formes ionisée In- et non ionisée HIn aient des couleurs très
différentes, si bien que le rapport: [In-]/[HIn] pourra être déterminé par
spectrophotométrie. La formule (e) montre que, si le pK A du colorant est
connu, son introduction dans la solution, en très faible quantité pour ne pas
altérer le pH, permettra d’évaluer celui-ci par spectrophotométrie, ou simple
colorimétrie.
Une telle méthode,
anciennement très employée, se trouva détrônée par la méthode potentiométrique,
mais elle s’est révélée à nouveau très efficace pour chiffrer l’acidité des
mélanges très acides (ou très alcalins), parce que la notion de pH y perd sa
signification, et que de toute façon sa mesure y devient impossible. Pour de
telles solutions on a introduit la fonction d’acidité H (Hammett), définie de
façon analogue au pH:
Cette grandeur
mesure bien l’aptitude du milieu à échanger des protons; par exemple, si son
acidité croît, [HIn] augmente, [In-] diminue, et H varie en conséquence; dans
les milieux ni trop acides ni trop alcalins, sa valeur est voisine de celle du
pH.
Pour la mesurer, en
milieu alcalin par exemple, dans les mélanges eau-éthylène diamine, on ajoute
une petite quantité d’indicateur et on mesure la proportion de forme ionisée
par spectrophotométrie dans un mélange "a" donné. Dans un mélange
"b" plus riche en base, on mesure la proportion (plus forte) de forme
ionisée, et de l’équation précédente, on tire:
dont tous les
termes au second membre sont mesurables, ce qui permet de classer les solutions
concentrées fortement basiques. D’une façon parallèle, on pourra classer les
indicateurs à pK élevés: dans un mélange alcalin, on mesure les proportions
ionisées de deux indicateurs I et II; on a:
ce qui permet
d’effectuer cette comparaison.
L’équilibre In- _
HIn s’observant en région très alcaline, on doit utiliser des indicateurs qui
soient des acides très faibles. On opérerait de même dans les milieux fortement
acides (mélanges eau-acide sulfurique) en utilisant des indicateurs qui soient
des bases très faibles.
Acidité
et structure chimique
Liaisons
chimiques
Le caractère acide
d’une molécule HA repose principalement sur la nature de la liaison chimique
entre H et le reste A de la molécule.
Électronégativité
Si A est un élément
très électronégatif (attirant fortement le doublet électronique unissant A et
H), la charge (_) se concentre vers A (donc la charge + vers H); à partir de
cette liaison polarisée , l’ionisation de H, déjà amorcée, se trouvera
facilitée, et l’acidité est accrue. On le vérifie, par exemple, en se déplaçant
de gauche à droite sur une ligne du tableau périodique (électronégativités
croissantes). Dans ces conditions, en descendant la colonne des halogènes
(électronégativités décroissantes), l’acidité devrait diminuer dans le sens F,
Cl, Br, I, alors qu’on constate le contraire. En réalité, les rayons atomiques
croissent fortement dans le sens indiqué, ce qui accroît les distances séparant
les charges opposées, d’où moindre attraction, donc ionisation plus facile; ce
dernier effet étant plus efficace que la diminution d’électronégativité,
l’acidité augmente.
Effet inducteur
Si A est formé d’un
groupe d’atomes (acides oxygénés), certains de ceux-ci peuvent drainer
fortement les électrons, comme précédemment; ce déplacement affectant
l’ensemble des liaisons (effet inducteur ), l’anion qui résulte de l’ionisation
de l’acide voit sa charge négative mieux dispersée sur l’ensemble du squelette
moléculaire et par conséquent sa stabilité accrue, l’acidité s’en trouve
augmentée. C’est le cas de l’acide chloracétique (les C représentant les
déplacements), de pK 2,8 (contre 4,6 pour l’acide acétique).
Cet effet est
fortement atténué par l’augmentation de longueur de la chaîne; très diminué
pour l’acide b-chloropropanoïque:
dont le pK est
4,08. Il est imperceptible au-delà.
En chimie minérale,
la règle de Pauling, approximative mais utile, donne la force en fonction du
nombre n d’oxygènes non unis à H:
On peut l’expliquer
en considérant que l’addition d’un nouvel oxygène (non relié à un H) provoque
un déplacement d’électrons vers celui-ci, abaissant la force des autres
liaisons O_H. Pour un ion chargé, la charge (_) créée par la première
ionisation provoque un effet contraire du précédent (déplacement des électrons
vers les autres atomes), renforçant ainsi la liaison O_H restante; la deuxième
acidité sera donc plus faible que la première; l’écart de pK est de l’ordre de
5.
Exemple: H3PO4: pK 1 = 2; pK 2 U 7; pK 3 U 12.
Structures
chimiques
Liaison
hydrogène
Lorsque le proton
d’un acide se trouve, de par la structure moléculaire, dans le voisinage d’un
atome porteur de doublets libres, il peut y avoir formation d’une liaison
hydrogène, qui renforce l’acidité, car, H étant sollicité par l’atome donneur,
la liaison OH se trouve relâchée. C’est le cas pour l’acide salicylique (formule
1, pK U 3) plus acide que son isomère avec OH en para (pK U 4,5); de même dans
le cas des deux isomères géométriques fumarique et maléique, c’est ce dernier
le plus acide, car il renferme les deux groupes carboxyle en position cis , la
seule qui soit favorable pour une liaison hydrogène.
Mésomérie
Un acide
carboxylique s’ionise en un anion mésomère (formule 2), si bien qu’en fait la
charge négative est répartie entre les deux atomes d’oxygène, donnant une
structure intermédiaire entre les précédentes (on dit qu’il y a résonance entre
celles-ci). La structure réelle est toujours plus stable que celle des formes
en résonance (la différence des énergies correspondantes est l’énergie de
résonance ). La forme ionisée étant stabilisée, elle se formera plus aisément,
d’où accroissement du caractère acide par rapport à ce qu’on pourrait
envisager.
En série
aromatique, on explique ainsi le caractère plus acide du phénol par rapport aux
alcools (pK U 10 contre 14 pour le méthanol), en invoquant la résonance de
l’ion phénate (formule 3). Si, de plus, le noyau renferme des substituants,
leur effet inducteur peut se superposer au précédent.
Effets stériques
Les effets
précédents sont souvent compliqués par des effets stériques, chaque fois que
des groupements volumineux d’atomes disposent d’un espace insuffisant pour les
contenir, ce qui occasionne des contraintes; pour s’y soustraire, la molécule
se déforme. Ainsi, le paranitrophénol (formule 4) est un acide plus fort que
son dérivé diméthylaminé (formule 5), car l’acidité de la fonction phénol est
due aux possibilités de résonance, ce qui implique une structure plane.
Dans le deuxième
corps, l’empiétement des groupements NO2 et N(CH3)2 empêche la planéité, d’où
inhibition de la résonance et affaiblissement de l’acidité.
Citons également le
cas des acides dicarboxyliques: HOCO(CH2)n COOH, où l’ionisation du premier
carboxyle entrave le départ du deuxième proton, par attraction électrostatique
du CO2-. Cette attraction dépend de la distance r des carboxyles, donc de la longueur
de la chaîne (n ), d’où une relation entre pK 2_pK 1 et n , car r varie de
façon régulière avec n , si la chaîne est peu pliée (formule 6).
L’introduction de
certains substituants sur les carbones de la chaîne en raison de leur
encombrement replie la molécule en amenant les carboxyles l’un vers l’autre,
donc diminuant r , ce dont on s’aperçoit par la variation de pK 2_pK 1. On a
constaté ainsi que, pour l’acide succinique (n = 2), r tombe de 4,5 à 2,1 pour
son dérivé obtenu par substitution de deux groupes _CH2C6H5 (benzyle) sur le
même carbone.
Théorie
de Brønsted-Lowry (1923)
Couples
acido-basiques
Définition
symétrique des acides et des bases
Elle définit comme
acide toute substance capable d’émettre des protons H+. Ce sera le cas d’un
acide faible, HA, comme dans l’équilibre (a), mais aussi de B+(NH4+), dans
l’équilibre d’hydrolyse (g), la seule différence résidant dans la charge (0 ou
+ 1) de l’acide.
Inversement, une
base sera toute substance capable de capter les protons: c’est non seulement le
cas de BOH dans (g) lu dans le sens C, mais aussi de l’ion A- (acétate) dans
(a) lu dans le sens C, la seule différence résidant dans la charge (0 ou _ 1)
de la base.
Il s’ensuit que
dans un équilibre d’ionisation on ne peut concevoir l’existence de l’acide sans
celle de la base correspondante: on dit que la paire HA_A- ou B+_BOH forme un
couple acide-base. On notera qu’à un acide fort correspond une base faible (et
inversement), car si HA est un acide fort, c’est qu’il perd facilement son
proton, lequel inversement a peu tendance à réagir sur A-, qui se trouve donc
être une base faible.
Relation entre
constantes de dissociation acide et basique
Avec cette
définition, la constante de l’acide sera:
Pour un acide du
type HA, elle se confond avec l’ancienne définition (aH); avec un acide du type
B+, elle n’est autre que l’ancienne constante d’hydrolyse (gH), B+ étant
l’acide.
De même, si l’on
adopte pour les bases la définition de l’ancienne théorie (capacité à émettre
des ions OH-), non seulement les bases du type BOH rentrent dans cette
catégorie (équations b et bH), mais aussi celles du type A-, en vertu de
l’équilibre (f et fH), et la constante de la base sera:
Pour une base du
type BOH, elle se confond avec l’ancienne définition; avec une base de type A-,
elle n’est autre que l’ancienne constante d’hydrolyse (f, fH). Il doit exister
une relation entre K A et K B si l’acide et la base concernés appartiennent au
même couple acido-basique; en multipliant membre à membre les deux précédentes
équations, on obtient K AK B = [H+][OH-] = K e = 10-14.
Par exemple, la
constante de dissociation de l’ammoniaque selon (bH) est 2 Z 10-15; il revient
au même de dire que NH4+ est un acide tel que:
Lorsqu’une espèce
peut se comporter à la fois comme acide et base, on dit qu’elle est amphotère.
Ainsi H2PO4- est capable de perdre un proton (acide) pour donner HPO42-, mais
il peut en capter un (base) pour donner H3PO4, c’est un ampholyte.
On peut ainsi
remarquer qu’il existe des acides à charges nulle (H3PO4), positive (NH+4) ou
négative (H2PO4-).
Rôle du solvant
En raison de sa
charge élevée par rapport à son volume, H+ n’existe pas comme tel en solution,
mais se fixe sur le solvant (dénommé SH) qui se trouve jouer ainsi le rôle de
base. Par conséquent, l’ionisation d’un acide dans l’eau ne s’écrira pas.
Parallèlement,
l’ionisation de la base se fait suivant (f), l’eau se trouvant jouer le rôle
d’acide, avec la constante de basicité. Avec le produit ionique: K e =
[H3O+][OH-].
Dans un solvant
donné SH, un acide sera d’autant plus fort qu’il sera plus capable de céder des
protons (constante élevée pour l’équilibre h), ce qui correspondra à une base
d’autant plus faible, en vertu de K A e K B = K e.
Acido-basicité
dans les solvants autres que l’eau
Les considérations
précédentes montrent que la théorie de Brönsted, en faisant jouer un rôle
symétrique aux acides et bases, permet de traiter de façon plus simple les
échanges de protons, au sein des solvants capables d’échanger eux-mêmes des
protons.
Dans ces
conditions, pour uniformiser les notations, une base telle que NH4OH (NH3H2O)
sera notée B et non BOH, et l’acide NH4+, dans NH4Cl, sera noté BH+ (NH3H+) et
non B+ comme auparavant.
Les échanges de
protons entre SH et le soluté acide ou basique dépendent de deux facteurs principaux.
Basicité (ou
acidité) de SH
La constante de
(hH) permet d’évaluer, dans l’eau, la force d’un acide; elle est, d’ailleurs,
la même que celle qui est donnée en (aH), la seule différence consistant à
admettre que le proton est sous la forme H3O+; on aboutira ainsi à une
classification des acides HA ou BH+ par force croissante.
Se reportant à (h),
on voit que si HA est un acide suffisamment fort, toutes les molécules HA
seront capables de fournir leurs protons à H2O, et HA sera un acide très fort
(entièrement dissocié). Donc, au-delà d’une certaine force, il ne sera plus
possible de différencier les acides; c’est ainsi que, malgré leurs forces
décroissantes dans l’ordre HClO4 O HI O HBr O HNO3 O HCl, ces acides,
entièrement dissociés dans l’eau, y sont également forts: on dit que l’eau
exerce un "effet nivelant". Il n’existe d’ailleurs pas, dans ce
solvant, d’acide plus fort que H3O+, car il réagirait sur H2O pour donner ce
dernier ion.
En revanche, dans
l’alcool, solvant moins basique que l’eau, les acides chlorhydrique et nitrique
ne sont plus entièrement dissociés et peuvent être différenciés des acides plus
forts. Au contraire, dans l’ammoniac liquide, solvant beaucoup plus basique que
l’eau, un acide aussi faible que l’acide acétique est entièrement dissocié.
Des considérations
analogues interviennent dans le domaine basique: dans l’eau, des bases très
fortes telles que les ions éthylate (C2H5O-) et amidure (NH2-) et elles sont
toutes également fortes.
On voit qu’en
raison de leur effet nivelant plus ou moins prononcé, les solvants exercent une
profonde influence sur l’utilisation des réactifs: l’exemple précédent montre
qu’il est inutile d’effectuer des réactions avec NH2- dans l’eau.
Si nous désirons un
solvant pouvant mettre en évidence des différences dans les tendances des
divers acides à donner des protons, il devra lui-même avoir peu tendance à
capter des protons (c’est-à-dire que SH2+ sera un acide très fort).
Ainsi, l’ammoniac
est un solvant nivelant pour les acides, car tous sont ramenés à la force de
l’acide faible NH4+; par contre, NH2- étant une base très forte (car les
propriétés acides de NH3 sont faibles), l’ammoniac permettra de différencier
les bases, même fortes.
Constante
diélectrique e de SH
Les forces de
Coulomb s’exerçant entre deux charges Z1 et Z2, distantes de x , sont de la
forme: Z1Z2/ex 2. Il s’ensuit que le travail nécessaire pour séparer les
charges, dans une ionisation du type (i), sera d’autant plus faible (donc
l’ionisation de HA plus facile) que e augmentera: ainsi, à basicité égale du
solvant, HA sera plus fort dans un solvant à e élevée. À partir de l’expression
précédente du travail, on peut montrer que pK HA est de la forme Cte = a /e, où
a est de l’ordre de 150.
Si l’acide est du
type BH+, la réaction d’ionisation:
a lieu sans
attraction électrostatique entre les partenaires, et
ne dépendant que de
la basicité de SH, variera peu avec e.
Précisons que
toutes les considérations précédentes sont valables pour des constantes diélectriques
suffisantes (e O 20) et seulement de façon approximative, car nous n’avons
envisagé que l’action des deux principaux facteurs. Aux faibles valeurs de e,
l’énergie nécessaire à la séparation des ions est trop élevée, et ces ions
restent unis, par attraction électrostatique, sous forme de paires d’ions . Une
paire H+A- est donc différente d’une molécule HA, où la liaison est covalente,
mais les méthodes expérimentales permettent difficilement d’opter entre les
deux possibilités.
Comparaison des acidités
(ou basicités) dans divers solvants
Influence de la
basicité
Considérons deux
acides du type BH+, s’ionisant dans un solvant SH suivant:
analogues à (i).
Il est facile de
constater, par soustraction membre à membre, que ces deux équilibres ne sont
pas indépendants de:
(déplacement de la
base B1 par B2), et que la constante de ce dernier équilibre est égale à K 1/K
2, qui traduit la force relative de B1H+ par rapport à B2H+.
Comme cet équilibre
ne fait pas figurer SH, il doit en être indépendant, ainsi que K 1/K 2, et pK 1
_ pK 2: donc, si seule la basicité de SH est en cause, les différences de pK
entre divers couples acide-base BH+ _ B restent les mêmes dans tous les
solvants.
Il s’ensuit que les
différences de pK des acides BH+ dans deux solvants (l’un d’eux étant souvent
l’eau, prise comme solvant de référence) doivent être les mêmes pour tous: le
pK d’un acide dans SH se déduit du pK dans l’eau par une constante additive DpK
+ (positive si SH est plus acide que H2O).
Influence de e
Ces considérations
sont valables pour les acides du type HA: le pK d’un acide HA dans SH se déduit
du pK dans l’eau par une constante additive DpK 0.
Néanmoins, comme pK
AH varie avec e, et que pK BH+ varie peu, il s’ensuit que DpK + et DpK 0 seront
différents. Donc les écarts des pK entre deux acides du type BH+ ou du type HA
ne varient pas avec SH, mais les écarts entre deux acides des types HA et BH+
varient avec SH.
Échelle d’acidité
Il sera possible de
classer, dans l’eau, les acides par pK croissant établissant ainsi une échelle
d’acidité ; en raison de l’effet nivelant, cette échelle sera limitée des deux
côtés. Compte tenu de ce qu’on ne rencontre que peu fréquemment des acidités ou
alcalinités fortes, supérieures à 1 mole par litre, ce qui correspond à des pH
extrêmes de 0 à 14, l’échelle d’acidité en milieu aqueux s’étendra de pK = 0 à
pK = 14.
Dans un autre
solvant SH, il sera possible, en utilisant une échelle de pSH2+ analogue au pH
(on devrait dire pH3O), de classer également les acides par pK croissants, pourvu
que les pK définis dans l’échelle pSH2+ soient compris entre 0 et _ lg K e (K
e, produit ionique de SH, 10-14 dans l’eau).
Pour passer de
l’échelle dans H2O à l’échelle dans SH, il suffit d’une translation DpK + pour
les acides BH+, et DpK 0 pour les acides HA.
Inversement,
connaissant pK SH, on passera à pK H2O par une même translation de signe
contraire. Il suffit donc de tracer une échelle unique dans l’eau, pour en
déduire celles qui sont relatives aux autres solvants moyennant la
connaissance, pour chaque solvant, de DpK 0 et DpK +.
Comme prévu, les
acides de pK H2O inférieur à 0 ou supérieur à 14 figurant sur cette échelle ne
pourront se différencier dans l’eau, mais les valeurs données serviront, en
utilisant l’opération que nous venons d’indiquer, à établir le pK dans un
solvant SH.
La figure 1 donne
l’exemple de telles échelles. Deviennent différenciables dans le méthanol tous
les acides qui, dans l’échelle de l’eau, possèdent un pK supérieur à _ 1,3 pour
BH+, et à _ 4,9 pour HA; on constate alors que les acides iodique et surtout
nitrique ne sont plus des acides forts.
De plus, K e =
10-16,7, l’échelle d’acidité est comprise entre pSH2+ = 0 et 16,7, ce qui
correspond, dans l’eau, à des pK compris entre _ 4,9 et 11,8: le méthanol ne
peut différencier les acides de pK supérieurs à 11,8 dans l’eau.
De telles échelles
permettent de prévoir les réactions acides-bases; une réaction telle que (j):
dont la constante
est K 1/K 2, sera d’autant plus complète que K 1/K 2 sera plus élevé et par
conséquent pK 1 et pK 2 plus éloignés sur l’échelle d’acidité.
Ainsi la figure 1b
montre que l’acide fluorhydrique réagira quantitativement sur l’ammoniac:
mais non sur
l’hydroxylamine, alors qu’il pourra le faire dans l’eau (fig. 1a).
Lorsque le pK est extérieur
aux limites de l’échelle, il y aura réaction totale de l’un des partenaires
avec SH:
– si le pK dépasse
la limite supérieure, ce sera le partenaire basique (réaction 7);
– s’il est
au-dessous de la limite inférieure, ce sera le partenaire acide (réaction 8).
Le méthanol diffère
peu de l’eau au point de vue acido-basique. Il n’en est pas de même pour
l’ammoniac liquide et l’acide sulfurique, solvants respectivement plus basique
et plus acide que l’eau.
Solvant plus
basique que l’eau: l’ammoniac liquide
La structure de
l’ammoniac liquide, qui bout à _ 33 0C, rappelle beaucoup celle de l’eau, en
raison de l’existence de liaisons hydrogène. Il s’ionise suivant:
K e = [NH4+] [NH2-]
est de l’ordre de 3 Z 10-33. La limite inférieure de l’échelle d’acidité est
par rapport à l’eau: 11,8 (acides BH+) et 7,7 (acides HA); la limite supérieure
est très élevée, puisque l’échelle doit s’étendre sur 32,5 unités (_ lg K e).
Tous les acides
plus forts que l’ion ammonium NH4+ sont ici des acides forts (cf. H3O+ dans l’eau);
les amidures NH2- sont les analogues des hydroxydes dans l’eau. La réaction
typique de neutralisation, est, ici,
analogue à H3O+ +
OH- X 2H2O.
Les métaux sont de
même attaqués par les sels d’ammonium avec dégagement d’hydrogène:
Dans les réactions où
une base très forte est nécessaire, on utilisera surtout l’amidure de potassium
(ceux des autres métaux sont très peu solubles dans l’ammoniac liquide).
On obtient, par
action des sels métalliques, des réactions rappelant l’obtention des hydroxydes
et oxydes dans l’eau:
L’amidure, base
très forte, permet l’obtention de sels d’acides très faibles:
Quoique l’ammoniac
se révèle un acide très faible, il est néanmoins capable de réagir sur les
hydrures, l’ion H- étant une base particulièrement forte:
Solvant
plus acide que l’eau: l’acide sulfurique
Les associations
entre molécules de solvant sont ici très fortes, comme en témoignent les
viscosité et température d’ébullition élevées.
Pour passer de
l’échelle de l’eau (pH3O+) à celle de l’acide sulfurique (pSO4H3+), il faut
ajouter 12,5 pour les acides BH+ et 13,5 pour les acides HA. La conductivité,
relativement élevée, indique un produit ionique fort:
(contre 10-14 pour
H2O),
On ne pourra
différencier que les acides donnant un pSO4H3+ compris entre 0 et 3,6, ce qui
correspond, en adoptant l’échelle dans l’eau aux limites _ 12,5 (ou _ 13,5) à _
8,9 (ou _ 9,9); c’est-à-dire que de très nombreuses substances se comportent
comme des bases; ainsi l’eau y acquiert des propriétés nettement basiques, et
la base la plus forte sera HSO4-.
En particulier,
l’ion Cl- est transformé en acide chlorhydrique non dissocié.
Citons également,
pour l’acide nitrique:
c’est la présence
du cation nitronium NO2+ qui est la cause des propriétés nitrantes des mélanges
sulfonitriques.
Outre l’équilibre
de dissociation ionique (k ), apparaît également dans l’acide sulfurique
lui-même l’équilibre:
(acide
pyrosulfurique) tel que l’acide pur renferme une concentration en eau de 3 Z
10-4 mole par litre. L’addition d’anhydride sulfurique SO3 capte l’eau issue de
cet équilibre, et permet d’arriver à des mélanges riches en acide
pyrosulfurique (oleums).
L’action de l’eau a
été bien mise en évidence par cryoscopie: les premières additions ne font
varier qu’assez peu le point de fusion (primitivement de 10,5 0C); elles font
apparaître en effet des ions HSO4-, qui rétrogradent l’auto-ionisation par
déplacement de l’équilibre (k ).
Quand on a ajouté
la faible quantité nécessaire pour que le déplacement soit total, le point de
fusion décroît régulièrement, mais son abaissement est le double de celui qu’on
pourrait prévoir s’il s’agissait d’une simple dissolution. Cela n’est pas
étonnant, puisque l’abaissement est proportionnel à la concentration en
particules dissoutes, et que l’introduction d’une particule H2O provoque la
formation de deux particules, H3SO4+ et HSO4-.
Catalyse
acido-basique
Certaines réactions
sont accélérées par la présence de substances étrangères (fréquemment il suffit
de très faibles quantités), que l’on trouve inchangées en fin de réaction et
que l’on nomme catalyseurs . Lorsqu’en solution le catalyseur est constitué par
les ions H+ ou OH-, on dit qu’il y a "catalyse acido-basique". Un des
exemples les plus anciennement connus est l’inversion du sucre (transformation
en glucose et fructose) catalysée par les acides forts.
La vitesse d’une
telle réaction est normalement proportionnelle à la concentration de substance
restant en solution, et la constante k de proportionnalité s’appelle constante
de vitesse . Dans l’exemple ci-dessus, k reste effectivement constant pendant
que s’effectue la réaction, mais dépend de l’acidité au départ, qui d’ailleurs
ne varie pas dans le cours de la réaction (contrairement à la concentration du
sucre, qui décroît constamment, puis finit par s’annuler). On écrira ainsi: k =
k H[H+].
D’autres réactions
sont catalysées par les ions OH-; il arrive qu’une même réaction soit catalysée
par ces deux ions, selon des mécanismes d’ailleurs différents; on a alors
k 0 étant la
constante en l’absence de catalyseur.
Puisque [H+] et
[OH-] sont liées par la relation K e = [H+][OH-], il est plus logique
d’exprimer k en fonction de [H+] seulement:
Les deux derniers
termes du second membre varient en sens inverse en fonction du pH; k passera
donc par un minimum pour un certain pHm obtenu en annulant la dérivée de k :
Mécanisme
Puisqu’on retrouve
le catalyseur inchangé en fin de réaction, et qu’il accélère néanmoins
celle-ci, il faut bien admettre qu’à une certaine étape il cède (ou enlève) des
protons à la substance réagissante, qui doit donc posséder des propriétés
faiblement basiques (ou acides), même si elles sont si faibles que les méthodes
classiques ne peuvent les déceler.
Le composé
intermédiaire formé, de structure différente de la substance de départ, peut se
montrer facilement attaquable par les réactifs, en régénérant, entre autres,
les ions H+ (ou OH-); même s’il n’existe qu’en faible concentration, il se
reforme continuellement à mesure qu’il réagit, et la réaction finale
progressera très rapidement.
Ainsi, dans la
catalyse acide de l’hydrolyse des esters RH_COOR, le proton donne naissance à
un carbocation RH_C+(OH)OR très sensible à une attaque par l’eau, qui rompt la
liaison O_R en donnant l’acide RHCOOH, l’alcool ROH et le proton de départ.
De même, les bases
accélèrent les réactions de nombreuses méhyl-cétones, en captant un proton et
formant un ion énolate à réactivité élevée, grâce à la double liaison entre les
carbones.
Catalyse
généralisée
On supposa
primitivement que les ions H+ ou OH- étaient les seuls catalyseurs effectifs
lors de la catalyse par les acides ou les bases. Tant que l’ion hydrogène fut
regardé comme un proton libre H+, il semblait légitime de lui attribuer un
pouvoir catalytique particulier, ne fût-ce qu’en raison de son champ
électrostatique intense, mais on sait maintenant qu’il est sous forme H3O+ dans
l’eau. Dans ces conditions, il ne se différencie d’aucun autre acide de
Brønsted, et toute particule autre que H3O+, susceptible de libérer des
protons, peut se montrer catalytiquement active, quelle que soit sa charge
(CH3CO2H; NH4+, H2PO4-).
Du côté alcalin,
ces considérations subsistent: l’ion OH-, qui n’est autre que l’anion d’un
acide faible (H2O), ne doit pas obligatoirement jouer un rôle privilégié par
rapport à d’autres bases ou anions accepteurs de protons (NH3, CH3CO2-, PO43-).
Ainsi, de nombreuses réactions, catalysées par les acides ou les bases relèvent
de la catalyse généralisée , dans laquelle les espèces catalysantes sont non
seulement H3O+ ou OH-, mais tout acide ou base selon Brønsted. Par conséquent,
dans un milieu renfermant un acide faible AH, et son sel A- (base), on devra
écrire la formule 9 plus générale.
Assez souvent,
quelles que soient les conditions, le terme en k HA ou k A- est continuellement
négligeable devant celui en k H ou k OH. Cependant, même s’il n’en est pas
ainsi, il peut arriver que seules H3O+ et OH- interviennent dans l’expression
de la vitesse, quoique les autres espèces puissent être actives. Dans ces deux
cas, on dit qu’il y a catalyse spécifique par les ions H3O+ (ou OH-). Pour
savoir s’il y a catalyse généralisée ou non, le mieux est d’effectuer la
réaction dans des mélanges HA + A- dont le rapport [HA]/[A-] est maintenu
constant, ce qui entraîne la constance de [H3O+]. En faisant varier, à rapport
constant la concentration des constituants, la vitesse de réaction doit rester
la même si la catalyse est spécifique, sinon on observe une variation dont la
grandeur permet d’évaluer k A- et k HA.
Théorie
de Lewis
Généralisation
des notions d’acide et de base
Historique
L’un des avantages
des définitions précédentes est l’adaptation d’une interprétation unique à des
phénomènes que la théorie d’Arrhenius présente sous des aspects et avec des
noms différents. Ainsi l’hydrolyse des sels devient une réaction protolytique
où l’acide est l’eau, et la base l’anion du sel; les réactions acido-basiques,
dans les solvants non aqueux, se traitent par analogie avec les réactions dans
l’eau, pourvu que ces solvants soient capables d’échanger des protons.
Réenvisageons la
réaction la plus simple de neutralisation dans l’eau: action de NH3 ou OH- sur
le proton H+, qui ne possède aucun électron de valence, puisqu’il résulte de la
perte d’un électron de l’atome H, qui n’en possède qu’un. La base NH3 a un
doublet libre sur N, qu’elle pourra céder à H+ pour former l’ion ammonium NH4+,
dans lequel la couche K de H est maintenant complète, avec deux électrons; de
même, OH- pourra céder un doublet de l’oxygène à H+ pour former H2O. Ainsi NH3
et OH- sont des donneurs d’électrons, et H+ un accepteur. En réalité, l’attaque
a lieu sur H3O+, donc sur un proton dont la structure est déjà complète; NH3 ne
peut le faire que par déplacement de H2O, suivant le mécanisme donné par la
réaction 10, où la première flèche, qui va du donneur à l’accepteur, indique la
liaison formée, et la deuxième flèche la liaison rompue. L’attaque d’un acide
faible HF par OH- s’écrira de la même façon.
Presque à la même
époque que les auteurs précédents, Lewis proposa une définition des acides et
bases beaucoup plus générale que la leur, fondée sur sa théorie de la valence;
reprenant les idées de Davy, il voulut débarrasser les concepts de ce qu’il
appelait le "culte du proton".
Pour Lewis, toute
substance pouvant accepter des électrons est considérée comme acide, et toute
substance pouvant en donner est considérée comme base.
Réactions
d’addition
Si l’acide peut
accroître sa coordinence [cf. VALENCE] sans qu’il y ait d’impossibilité
théorique, la réaction du donneur sur l’accepteur sera une simple réaction
d’addition. C’est le cas non seulement de: H3N : + H+ X H3N : H+ envisagée
ci-dessus, mais aussi de H3N: + BF3 X H3N: BF3 où le bore B passe de la
coordinence trois à quatre (octet) grâce au doublet fourni par l’azote. Le
composé BF3 n’est pas un acide au sens de Brønsted, puisqu’il n’est pas
générateur de protons, mais il en est un selon Lewis.
Citons également
des exemples de passage de la coordinence quatre à six:
L’accepteur pourra
être un ion positif, comme dans la majorité des composés de coordination.
Outre les composés
précédents, ceux qui possèdent une double liaison non éthylénique peuvent agir
comme acides de Lewis (addition de l’ion hydroxyle sur le dioxyde de carbone).
Dans ce cas, OH-
fournit un doublet à C, ce qui ne peut se faire que par disparition d’un autre
doublet qui part entièrement sur O; la double liaison se transforme en liaison
simple.
En revanche, les
composés contenant des liaisons éthyléniques peuvent agir comme bases, en
raison de la disponibilité des électrons mobiles de la double liaison (exemple:
composés Ag+ _ carbures éthyléniques).
Les acides de
Lewis, accepteurs d’électrons, sont souvent nommés électrophiles; les bases de
Lewis se fixent sur la région des particules acides pauvre en électrons, et par
conséquent où l’influence positive du noyau se fait davantage sentir: on les
nomme "nucléophiles".
Réactions de
déplacement
Lorsque les atomes
de l’acide possèdent leur coordinence maximale, l’atome A sur lequel le donneur
(base B) fixe ses électrons doit rompre sa liaison avec un autre atome C; on
assiste ainsi à une réaction de déplacement, dont un exemple a déjà été donné à
propos de NH3 et H3O+; l’espèce déplacée emporte le doublet de la liaison A _ C
(réaction 11).
Ce type s’appelle
substitution nucléophile , terme qu’expliquent les considérations précédentes.
On représentera de même une substitution électrophile , dans laquelle la
molécule B _ C est attaquée par un acide A; l’espèce déplacée sera elle-même un
acide (réaction 12).
Les exemples du
type 11 sont nombreux en chimie organique (cf. mécanismes RÉACTIONNELS). En
chimie minérale, l’hydrolyse des halogènes par les bases et l’oxydation des
sulfites en sulfates par les hypochlorites en sont deux.
La nitration des
carbures aromatiques, dans les mélanges d’acides sulfurique et nitrique, est un
exemple de la réaction 12. Dans ces mélanges, c’est le cation NO2+ qui est
l’espèce active. Fortement électrophile, il réagit sur le noyau aromatique à
densité électronique élevée, avec élimination d’un proton (réaction 13).
Dureté et
mollesse des acides et des bases
Dans le cadre des
définitions classiques d’acides et de bases, les notions de compétition entre
deux acides pour une même base ou entre deux bases pour un même acide ne posent
pas de problèmes spéciaux. Il existe en effet, pour chaque solvant, une
classification des forces d’acides sur un même axe hiérarchisé: dès que l’on
connaît la situation relative de chacun des deux acides sur cet axe, le
résultat de la compétition des deux acides pour la même base est connu, l’acide
le plus fort étant celui qui fournit le plus de protons pour salifier la base.
Il en va de même pour la classification des bases selon une hiérarchie monodimensionnelle.
La notion d’acide-base généralisée nous éloigne de cette belle simplicité. En
effet, dans le cadre de cette approche, tout couple "espèce moléculaire
déficiente en densité électronique (que cette déficience soit localisée ou
délocalisée) – espèce moléculaire excédentaire en densité électronique"
qui interagit pour conduire de façon équilibrée à un sel généralisé:
constitue un couple
acide-base dont on a vu précédemment qu’il pouvait prendre l’aspect de couple
électrophile-nucléophile . Dans le cadre de cette approche, H3O+, BF3, I2,
SbF5, Mn+ (M pouvant être un métal quelconque) ont également droit au titre
d’acide. Par conséquent, on peut envisager autant d’axes acides hiérarchisés
monodimensionnels qu’il y a d’acides de référence; il en va de même pour les
bases. Cette généralisation, pour séduisante qu’elle soit au plan conceptuel,
fait apparaître un problème de classement qui n’a pas encore reçu de solution
totalement satisfaisante. Ce problème s’énonce ainsi: "Supposons que l’on
connaisse le classement des forces des bases lorsque l’acide de référence est
H+, comment va se modifier ce classement lorsqu’on passe à l’acide de référence
I2?" Regroupant les approches de Schwarzenbach, Ahrland, Chatt et Davies
d’une part (acidité-basicité) et celle d’Edwards d’autre part
(électrophilie-nucléophilie), Pearson a proposé en 1963 une amorce de solution
à ce problème. La formulation simple proposée s’énonce: les acides durs
s’associent de préférence aux bases dures, les acides mous s’associent de
préférence aux bases molles (formulation acide-base). Les électrophiles durs
réagissent plus facilement avec les nucléophiles durs tandis que les
électrophiles mous réagissent plus facilement avec les nucléophiles mous
(formulation électrophile-nucléophile). Les notions de dureté et de mollesse
sont associées à un faisceau de données tant expérimentales que théoriques. Une
espèce (ou un centre réactif) est reconnue comme molle si:
– elle est
polarisable (base);
– elle a un pK A
faible (base);
– elle est facile à
oxyder (base);
– elle est facile à
réduire (acide);
– elle a une taille
importante;
–
l’électronégativité du centre considéré comme base (acide) est voisine de celle
du centre considéré comme acide (base) dans l’interaction globale acide-base;
– la densité de
charge positive est faible sur le centre acide (acide);
– la densité de
charge négative est faible sur le centre basique (base);
– elle présente des
orbitales frontières vides aisément accessibles pour permettre la mise en jeu
de liaisons de type rétrodatives (bases);
– elle présente un
nombre important d’orbitales d occupées (cations acides).
La notion d’espèce
dure se déduit des caractères précédents par simple opposition: une base dure
sera ainsi une base peu polarisable, de pK A élevé de charge négative forte sur
le centre basique, ne présentant pas d’orbitales frontières vides susceptibles
de s’engager dans une liaison rétrodative. L’exemple des propriétés basiques
relatives de l’éther éthylique (dur) et de son homologue soufré le diéthyl
mercaptan (mou) illustre l’application de ces règles. Si on met en compétition
ces deux bases généralisées avec un acide de référence à caractère dur (AlMe3),
l’éther éthylique l’emporte; en revanche, si l’acide de référence présente un
caractère plus mou (I2), c’est le diéthyl mercaptan qui l’emporte. Cet exemple
montre que, si l’on classe hiérarchiquement la population des bases en prenant
comme référence un acide donné, cette hiérarchie peut être en partie inversée
pour peu que l’on prenne un autre acide de référence . Toutefois, si l’on
cherche à appliquer plus loin les règles HSAB (hard and soft acids and bases )
dans leur forme naïve, de nombreux contre-exemples apparaissent. Une étude
systématique a montré que leur application à une population étendue de couples acides-base
conduit à un succès de 60 p. 100 seulement dans la prédiction de compétition
entre couples d’acides (bases) pour une base (acide). L’application de
prévision à pile ou face aurait conduit à un succès de 50 p. 100. Une des
raisons de ce semi-échec peut être trouvée dans la formulation originale de
Pearson lui-même. En effet, outre la formulation précédente, cet auteur avait
proposé l’équation:
pour rationaliser
l’ensemble des constantes d’équilibres associées à des couples d’acides (A)
bases (B). Dans cette expression, S A et S B sont des facteurs qui mesurent les
forces intrinsèques respectivement de l’acide et de la base. sA et sB mesurent
quant à eux les mollesses respectives de l’acide et de la base. Pour les
espèces molles (acides ou bases), les valeurs de s sont négatives et le produit
sAsB est donc positif. Pour les espèces dures (acides ou bases), les valeurs de
s sont toutes deux positives, de sorte que sAsB est positif. Cette équation à
quatre termes montre le danger implicite de la formulation de règles HSAB
basées sur la seule considération de dureté et de mollesse. En fait, ces
paramètres ne devraient devenir déterminants que lorsque les forces
intrinsèques de couples de bases (acides) confrontés à un même acide (base)
sont du même ordre de grandeur. La seule formulation relativement saine du
principe HSAB devient alors: "Toutes choses égales ou voisines par
ailleurs , les couples d’acide-base où les partenaires sont tous deux durs ou
tous deux mous bénéficient d’une tendance accrue à la salification." Le
même type de précaution doit être respecté pour les interactions de type
nucléophile-électrophile.
La probabilité de
rupture simultanée de plusieurs liaisons, lors de la rencontre des réactifs,
est faible. Seules les réactions d’un type simple se feront en une étape.
Pour les autres, il
faut admettre l’existence de plusieurs étapes successives. Ainsi, l’oxydation
du sulfite par le chlorate,
implique la
rencontre directe, impossible, de quatre espèces, et de plus la rupture
simultanée de trois liaisons Cl_O; en réalité, elle s’effectue suivant les
étapes de la réaction 14.
Les produits issus
de la réaction peuvent subir une modification de structure, si bien qu’il ne
s’agit plus d’un simple déplacement. Ainsi, dans PCl3, les Cl étant très mobiles,
l’eau, base faible, peut les chasser par attaque nucléophile, avec libération
de H3O+, conduisant, en trois stades successifs, à P(OH)3. En réalité, cette
forme n’est pas stable: le doublet libre de P attaque la liaison O_H et l’on
aboutit à la structure stable de l’acide phosphoreux; on voit que le mécanisme
n’est pas différent du type 12, mais qu’il s’effectue à l’intérieur d’une même
molécule.
Les solvants non
échangeurs de protons
Insuffisance de la
théorie de Brønsted
"Restreindre
les acides aux substances hydrogénées limite aussi sérieusement la
compréhension de la chimie que le ferait la restriction de terme agent oxydant
aux substances oxygénées" (Hantzsch, 1928).
La théorie de Lewis
ne commença à être connue que longtemps après sa publication, car elle avait
moins d’applications pratiques que celle de Brønsted, dont les insuffisances
apparaissaient pourtant clairement. Ses idées furent reprises par Sidgwick et
Smith en 1938; pour eux, un acide est un soluté non chargé ou ionique, qui peut
accepter une paire d’électrons de la molécule ou de l’ion du solvant.
Inversement, une base agit comme un donneur d’une paire d’électrons à un ion ou
une molécule de solvant.
Ces notions se sont
révélées particulièrement utiles dans le cas où les solvants n’échangent pas de
protons avec les solutés, et aussi dans le cas où ils n’échangent aucune espèce
de particule. Ainsi, le violet cristallisé est un indicateur coloré virant, en
milieu aqueux, du jaune au violet quand on passe d’une réaction acide à une
réaction alcaline; la pyridine et les amines s’y comportent comme des bases,
conformément à la théorie de Brønsted. Mais, en solution dans le chlorobenzène,
les bases précédentes colorent également le réactif en violet; en revanche,
BCl3 et SnCl4 donnent, dans ce milieu anhydre, la réaction jaune des acides.
Parallèlement,
Germann montra, en 1925, que AlCl3, en solution dans le phosgène COCl2, a des
propriétés acides: la solution dissout les métaux en libérant de l’oxyde de
carbone, et on peut la neutraliser par du chlorure de calcium.
Si l’on admet
l’ionisation du phosgène en Cl- (base) et COCl+ (acide), la réaction de
neutralisation se formule:
D’où les
définitions de Cady et Elsey, qui permettent de reconnaître rapidement si un
soluté est acide ou basique: un acide augmente le caractère cationique du
solvant (ici formation de COCl+); une base augmente le caractère anionique (ici
apport d’ions Cl-).
D’après ce qui
précède, il est facile de concevoir que les solvants non échangeurs de protons
pourront eux-mêmes se diviser en deux catégories: ceux qui échangent des
particules autres que le proton (ions Cl- par exemple) et ceux qui n’échangent
rien avec les solutés.
Échange de
particules avec le soluté
Le trichlorure
d’antimoine fondu se dissocie selon:
Les substances
susceptibles d’intervenir dans des réactions mettant en jeu les particules
précédentes seront:
– Des accepteurs
d’ions Cl-
que l’on pourra
qualifier d’acides, puisqu’ils sont accepteurs de paire d’électrons de Cl-, ou
encore (voir précédemment) parce que leur introduction dans le milieu accroît
la concentration du cation SbCl2+ issu de la dissociation du solvant:
On aurait de même:
– Des donneurs
d’ions Cl-, ou des accepteurs d’ions SbCl2+, qui seront des bases.
Ce seront bien
entendu les chlorures eux-mêmes, et de façon générale les halogénures:
ainsi que les bases
au sens de Brønsted comme la pyridine (formule 15).
– Des ampholytes,
qui agiront comme acide ou base, selon que le milieu est riche en particules
acides ou basiques:
que l’on comparera
avec :
Considérons un
acide tel que AlCl3:
(comparer à HA + SH
X A- + SH2+)
avec la constante
d’équilibre:
On déduit:
le pK étant
d’autant plus élevé que l’acide est lui-même plus faible, c’est-à-dire moins
capable de libérer SbCl2+.
On peut ainsi,
comme pour les solvants protoniques, classer les couples acide-base
(accepteur-donneur) sur une échelle, qui se trouvera là également limitée:
– vers le bas, par
les accepteurs forts d’ions chlorures Cl- (acides forts): c’est le cas de l’ion
mercurique Hg2+:
– vers le haut, par
les chlorures métalliques, qui se trouvent être des bases fortes:
Des considérations
analogues interviendraient dans le cas de l’anhydride sulfureux SO2 liquide,
solvant plus étudié que le précédent, mais moins simple au point de vue
théorique, en raison de sa constante diélectrique plus faible (e = 16).
L’auto-ionisation
serait en faveur de l’équilibre:
SO32- correspond
aux sulfites, qui se comporteraient ainsi comme des bases, avec l’équilibre
supplémentaire:
De même, les
composés contenant le groupe SO se comporteront comme des acides, c’est le cas
du chlorure de l’acide sulfureux (chlorure de thionyle) SOCl2. On peut ainsi
observer des réactions de neutralisation, telles que:
Pas
d’échange de particules avec le soluté
Considérons les
complexes d’un ion métallique M2+ accepteur, avec un donneur X- (ions Cl-,
SCN-, par exemple).
Un solvant tel que
l’eau n’échange pas de particules avec les participants de ces équilibres, et il
semblerait ainsi que sa nature ne puisse jouer qu’un rôle secondaire sur leur
prévision, ou sur la stabilité des composés formés.
En réalité, un ion
tel que M2+, grâce à son champ électrique, attire par effet électrostatique des
molécules de solvant dans son entourage (solvatation); cette attraction peut
devenir si énergique, que les liaisons passent du type électrostatique au type
covalent: tels [Cr(H2O)6]3+ dans l’eau, [Cr(NH3)6]3+ dans l’ammoniac. Quoi
qu’il en soit, les équilibres précédents doivent bien dépendre de la nature du
solvant.
Dans l’exemple
précédent d’équilibres, on peut définir une échelle de pX- = _ lg [X-] analogue
à une échelle de pH:
et placer tous les
pK sur cette échelle. Elle se trouve limitée vers le bas par pX- = 0
(concentration 1 mole en ions X- libres); mais elle n’est pas, en principe,
limitée vers le haut, car si les complexes sont très stables, pK sera très
élevé (K très faible). Pour des dérivés successifs, le pK décroît dans l’ordre
MX+, MX2, MX3- ..., car plus ces dérivés renferment de particules X, plus ils
ont tendance à en libérer (cf. fig. 2 où M est Hg et X- est SCN-
[thiocyanate]).
Une telle échelle
permet de classer tous les complexes avec X- comme donneur et permet de prévoir
les réactions, par un processus tout à fait analogue à celui qui est donné pour
les échelles d’acidité. Ainsi, la figure 2 montre que la réaction:
doit être
pratiquement complète.
Le solvant ne doit
pas agir seulement par son action solvatante, mais aussi par sa constante
diélectrique e. On peut prévoir l’influence de e, à condition, bien entendu,
que l’action de la solvatation soit du même ordre dans les solvants que l’on
compare.
Dans des équilibres
du type:
il faut s’attendre
que les diverses constantes varient peu avec e, car les attractions
électrostatiques entre partenaires sont faibles. Par conséquent, pour des
conditions données au départ (mêmes concentrations initiales de NH3 et M2+),
les proportions des divers complexes successifs resteront sensiblement les
mêmes.
Ainsi, la
diminution de e favorise la formation de MX+ selon la loi DpK I = 300D(1/e) et
celle de MX2 selon la loi:
En revanche, sa
valeur influe peu sur la formation des termes MX3 (attraction nulle) et
supérieurs (répulsion).
L’influence de e se
fera donc surtout sentir sur les espèces dont les constituants portent des
charges de signe contraire, qui se trouveront avantagées par rapport aux
autres.
Conclusion
Les considérations
précédentes montrent les avantages de la généralisation de la notion d’acide et
de base. On a proposé une généralisation encore plus grande et, en 1939,
Usanovich, assimilant les électrons à des anions, montra que les réactions
d’oxydo-réduction deviennent une partie indissociable des phénomènes
acido-basiques. Cette idée, très satisfaisante sur le plan théorique, a le
défaut de faire de l’acidité une notion trop générale pour s’appliquer dans la
pratique.
Si l’on compare les
définitions de Brønsted et de Lewis, on remarque qu’en général les bases de
Lewis sont également des bases de Brønsted puisqu’elles sont capables de se
fixer sur le proton; naturellement, la définition de Lewis est plus générale,
car une base de Lewis est capable de fournir un doublet à d’autres particules
que le proton (cf. supra Ag_NH3).
En ce qui concerne
les acides, il y a quelque divergence entre les deux théories:
– BF3, Ag+ ne sont
pas des acides de Brønsted, puisqu’ils ne peuvent fournir de protons;
– H3PO4 n’est pas
un acide de Lewis, pas plus que H3O+, car aucune place n’est accessible à une
paire d’électrons.
Pour mettre d’accord
le langage des deux théories, Bjerrum (1951) a proposé un compromis, au prix de
l’introduction d’un vocable nouveau:
a ) Une base est un
accepteur de protons ou un donneur d’une paire d’électrons;
b ) Un acide est un
donneur de protons;
c ) Une antibase
est un accepteur de base ou d’une paire d’électrons.
D’ailleurs Izmaïlov
prouva, vers 1955, que les réactions acido-basiques en solution sont beaucoup
plus complexes que ne l’admettrait Brönsted; au cours de la neutralisation, il
se forme d’abord un composé moléculaire entre l’acide et la base (l’un des deux
partenaires pouvant être une molécule de solvant).
Ce composé résulte
en fait de l’établissement d’une liaison hydrogène entre l’atome H de l’acide
et l’atome donneur d’électrons de la base; l’existence de telles liaisons a été
prouvée par cryoscopie et spectroscopie Raman.